Cette proposition peut paraître un peu farfelue pour des Français ! C’est sans compter sur le renouveau de la cuisine suédoise qui s’opère depuis quelques années au Royaume de Suède. Mais que sait-on au juste de la gastronomie suédoise ? Alors que le Guide Michelin des meilleures tables nordiques 2018 vient de sortir, il est temps de se pencher sur la question.
Une cuisine méconnue
A part les köttbullar d’Ikea et le saumon fumé, il faut bien admettre… Les Français n’y connaissent pas grand chose en matière de cuisine suédoise. Forte de ce constat, Cilla Lewenhaupt-Herpé, Suédoise de naissance et Française de coeur, s’est armée de son stylo et a publié en 2014 un livre en français “Cuisine suédoise, récits et recettes”, mêlant recettes, grande et petites histoires ou encore anecdotes rigolotes, en réponse à la question qu’on lui posait bien trop souvent, en France : « Mais alors, la cuisine suédoise, ça existe ? »
Le goût suédois
Pour Cilla, entre la bouillabaisse et la choucroute, c’est un peu compliqué de résumer, et c’est la même chose en Suède ! Les recettes suédoises varient énormément d’une région à une autre. Il existe bien sûr l’incontournable traditionnel buffet de Noël ou de Midsommar, véritable vitrine de spécialités suédoises, mais aussi la « cuisine maison », husmanskost, élaborée depuis des générations avec simplicité autour des produits régionaux. L’alimentation de base des Suédois, légumes secs et céréales, pains traditionnels et variés, produits laitiers fermentés, charcuteries fumées, poissons salés et soupes constitue le socle du « goût » suédois. A ces matières premières s’ajoutent des usages propres lui conférant des parfums sans pareil.
Le dénominateur commun
Si l’on se replace dans un contexte historique, la recherche du plaisir gustatif n’a pas été l’élément déclencheur pour se mettre aux fourneaux. Les préparations culinaires servaient avant tout à fournir l’énergie nécessaire pour le travail aux champs et à lutter contre le froid. C’était une cuisine utilitaire, de survie. Il y a de cela encore à peine 40 années, la Suède était un des pays les plus pauvres d’Europe, extrêmement rural, isolé et soumis à un climat hostile. Les cuisinières devaient se contenter de produits locaux à la saisonnalité marquée. La nature même et ses aléas sont à l’origine de la cuisine suédoise.
Les ressources alimentaires
Fruits des bois, champignons, racines et choux, céréales constituaient le panier de la ménagère auquel se rajoutaient poissons, crustacés et gibiers et quelques fromages pour les jours de fête. On ne parle pas ici de la cuisine des gens nantis qui pouvaient se permettre plus de fantaisie. La cuisine suédoise est rustique et terre à terre, vous l’aurez compris. On prend ce qu’on a et le résultat n’est pas toujours savoureux. Il n’était pas rare à l’époque de mélanger fruits et légumes dans la même casserole. On suppose que les épices permettaient de cacher la misère de certaines préparations et produits de qualité trop médiocre.
Le mode de cuisson
C’est, après le type d’ingrédients, le deuxième élément constitutif de la cuisine suédoise. Le plus souvent, on faisait la cuisine sur feu ouvert. On mijotait donc des ragoûts ne craignant pas les écarts de température, toujours un peu aléatoires avec un feu de bois, et, pendant très longtemps, afin d’éliminer tous les microbes et autres germes. À l’époque, il était rare de consommer des légumes crus selon Cajsa Warg, une des pionnières de la cuisine suédoise au 18e siècle.
La conservation
Il fallait prendre grand soin des matières premières pour les garder le plus longtemps possible et les consommer sans risque en hiver ou durant les mauvaises années. L’offre saisonnière limitée de produits frais et le rude climat scandinave ont favorisé le développement de différents procédés de conservation, comme le séchage, le fumage ou plus tard le salage, le sel étant rare avant le 18e siècle. Le saumon gravlax était jadis salé et enterré pour être conservé jusqu’à la consommation, grav signifie “tombe”. Le sucre et le vinaigre permettaient également de préserver les aliments.
La saveur des conservateurs
Ces techniques ont largement contribué à l’élaboration de saveurs propres à la cuisine suédoise. Le sel imprégnait les aliments et l’habitude est restée de manger très salé. Le vinaigre suédois, fait de spiritueux fermentés, n’est produit nulle part ailleurs dans le monde. Les poissons marinés dans leur jus sont caractéristiques des saveurs nordiques. En dehors de la Chine, seule la Suède propose ces alliances aigres douces. Le sürstromming, ce hareng fermenté à l’odeur inimitable, est également issu d’une méthode de conservation unique. Ces associations anciennes sont aujourd’hui emblématiques de la gastronomie suédoise. Si aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’ajouter tous ces préservateurs, les chefs maintiennent la tradition pour en tirer ce goût si particulier.
Les aliments bons pour la santé
Les Suédois ont toujours, hasard ou instinct, consommé des aliments bons pour la santé : le gibier, réputé maigre ; les poissons de mer gras, harengs, saumons, sardines, maquereaux, riches en vitamine D et oméga 3 et ce, quel que soit leur mode de préparation et de conservation ; les légumes-racines, betteraves, carottes, rutabagas, riches en bêta carotène et consommés à outrance ; le chou et les céréales comme l’avoine et l’orge aux propriétés anti-cancérigènes ; les baies et petits fruits gorgés d’antioxydants ou les airelles, source importante de vitamine C ; le colza dont on extrait l’huile aux effets bienfaisants ; le pain d’écorce bourré en vitamine C ; les épices aux vertus médicinales, poivre, cardamome etc… Aujourd’hui très en vogue, cette carte « santé », fait elle aussi partie intégrante de la gastronomie suédoise aux propriétés qualitatives impeccables.
Influences étrangères
Qu’on se le dise : ni les boulettes, ni le chou, ni le lussebulle ne sont suédois ! Historiquement, la cuisine suédoise a toujours été ouverte à toutes les influences, depuis les kåldolmar d’inspiration turque jusqu’aux influences allemande et française entre le 17e et le 18e siècles. Mais attention, rappelle Cilla, à l’instar du kallops, le boeuf bourguignon suédois, souvent, la préparation suédoise n’a plus grand chose à voir avec le plat d’origine…
Au cours du 20e siècle, les influences ont perduré : dans les années 60, la pizza a envahi la table suédoise, jusqu’alors limitée aux basiques, et aujourd’hui, le fredagstaco est de mise et les restaurants asiatiques sont légion suite au développement du tourisme de masse dans ces régions favorisant la curiosité pour cette cuisine.
La démocratisation du goût
Pendant longtemps, ce n’était pas commun ni bien vu d’aller au restaurant en Suède. Aujourd’hui, les bonnes adresses se sont développées et offrent une variété de menus inédite. On trouve des tables de qualité, bistros, gastro-pubs et autres pour toutes les bourses. La cuisine suédoise tend à faire redécouvrir des goûts et des produits longtemps oubliés lors de la révolution alimentaire et industrielle des années 1950 et 1960, sous l’influence de la grande distribution. Même l’état suédois s’y est mis, en promouvant à partir de 2008 l’idée d’une Suède, nouvelle nation gastronome. L’intérêt des Suédois et celui des visiteurs de passage ne se dément pas, que ce soit pour avaler un fika, un dagens lunch ou un middag raffiné.
L’arrivée d’une ère d’excellence (pas très lagom mais c’est pas grave parce que c’est bon !)
Dans le livre de Cilla, les recettes classiques côtoient des recettes plus modernes comme le pain perdu aux pepparkakor. Selon elle, c’est grâce aux chefs que la gastronomie suédoise s’est démocratisée et modernisée. Ils ont adapté leurs procédés, remis au goût du jour les légumes anciens, panais, topinambours ou betterave rouge, décliné des saveurs disparues, savent très bien cuisiner le gibier, ne font plus bouillir les légumes trop fort ou trop longtemps. Ils réinventent la cuisine suédoise en utilisant ses propres inspirations.
La tendance mondiale d’une cuisine éco-responsable (tellement suédois, quoi !)
Mais cela va plus loin. Petit à petit, les chefs éveillent les consciences en proposant des menus combinant des produits de saison, bios, locaux, artisanaux, en petites productions respectueuses de l’environnement. Ils poussent les consommateurs à manger sainement et les producteurs à améliorer leur production. Cette volonté éco-responsable rend la nouvelle cuisine suédoise de plus en plus créative tout en laissant la part belle aux plantes aromatiques, fruits et légumes sauvages, aux produits rares comme le löjrom de Kalix, les mûres boréales, ou les truffes de Gotland aux saveurs remarquables. Le Suédois aime la nature, même celle qui se trouve dans son assiette.
La reconnaissance internationale
Aujourd’hui, on vient en Suède pour découvrir et goûter de nouvelles choses. Depuis le début des années 2000, les chefs suédois se tiennent sur le devant de la scène gastronomique internationale. Décomplexés, ils se font de plus en plus remarquer dans les concours de cuisine comme aux Bocuse d’or auxquels La Suède a participé pour la première fois en 1987. La première médaille d’or suédoise est attribuée en 1997 à Mathias Dahlgren (Rutabaga au Grand Hotel, notre article ici). Plusieurs récompenses ont suivi depuis, bronze ou argent, à chaque compétition.
Suivez le guide des bonnes tables
Le 19 février, le Guide Michelin Pays Nordiques 2018 a rendu son verdict. Parmi les tables d’exception, Frantzén vient de décrocher sa troisième étoile, s’illustrant comme le premier restaurant suédois à l’obtenir. 32 restaurants ont été récompensés en Suède parmi lesquels figurent 4 deux étoiles et 21 une étoile dont 4 nouvelles adresses.
Un autre guide, le White Guide (en anglais) sort sa quatorzième édition des meilleures tables de Suède le 5 mars prochain. Sur près de 800 restaurants testés, 600 restaurants sont présentés dans le White Guide 2018.
La gastronomie suédoise n’est pas avare de saveurs. C’est une cuisine culturelle qui raconte un pays et son mode de vie. Elle surprend les gourmets, impressionnés par son goût et son originalité, mélangeant des ingrédients authentiques, des recettes ancestrales, des matières premières, des épices exotiques et des nouvelles tendances alimentaires. De banale, elle est devenue surprenante. Alors, laissez vous tenter !
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