Géographe de formation, Nicolas Escach est spécialiste de l’étude des villes baltiques et nordiques et directeur du Campus des Transitions à Caen. Dans « La France à l’heure nordique », son tout nouvel ouvrage à paraître mi-octobre, il propose une analyse originale et nuancée de la France contemporaine par le prisme de sa fascination pour les pays scandinaves. La Suède en Kit a rencontré ce franco-nordique passionné et désireux de faire bouger les lignes.
Quelle a été votre motivation première avec l’écriture de ce livre ?
J’ai pensé ce diagnostic comme une première analyse pluridisciplinaire de l’espace face aux transitions, avec la volonté d’en tirer des enseignements pour trouver une troisième voie à travers le franco-nordique qui (ré)concilie pensée théorique et apports pratiques dans la façon d’aborder l’espace. Ce livre résulte de trois ans de travail, car le thème en lui-même a été peu abordé jusqu’à présent en France et a demandé une longue période de recherche pour trouver les informations, recueillir des témoignages, etc.
S’il existe des analyses sur le discours et l’image qu’ont les Français de la Scandinavie, on trouve très peu de données sur les actions concrètes qui sont mises en œuvre en France et sont inspirées des pays nordiques. Par ailleurs, je ne souhaitais pas me limiter à un seul thème, mais plutôt aborder la question par de multiples facettes pour parler de l’influence nordique en France de façon concrète.
J’ai tout d’abord cherché à comprendre comment ces dynamiques ont joué un rôle dans le développement de la France contemporaine avant d’examiner comment ce détour par la Scandinavie pouvait nous aider à prendre du recul pour préparer les transitions à venir. Finalement, cette réflexion se trouve à mi-chemin entre la France et l’Europe du Nord, et combine aussi bien des approches théoriques que des solutions pragmatiques.
De tous les pays nordiques, la Suède est incontestablement celui qui suscite le plus d’intérêt en France ; d’où vient cette fascination selon vous ?
La France et les pays nordiques sont proches géographiquement, mais diamétralement opposés du point de vue de la mentalité, ces derniers pouvant sur certains points rappeler des approches culturelles asiatiques.
En ce qui concerne la Suède, il est indéniable que le pays a su créer une influence, avec une volonté très forte, pour ne pas dire messianique, d’exporter son humanisme dans le monde entier. Cela vient du rôle historique de la Suède dans la région nordique, mais aussi de son soft power très fort.
Les médias français ont également une part de responsabilité dans la fabrication de cet imaginaire. La Suède et les pays nordiques plus généralement sont assez méconnus, ce qui permet une reprise d’éléments à leur sujet sortis de leur contexte, sans recul et sans perspective, et crée une vision très contradictoire : d’une part, on trouve une forme de condescendance, car on considère que ces petits pays reculés et froids n’ont pas un grand rôle stratégique ; de l’autre, on est fasciné par leur modèle social et leur capacité à innover.
Ces cycles de fascination reposent sur un emballement autour de sujets clefs (éducation, réformes économiques et sociales, morale en politique), en particulier dans des moments de crise qui créent des tensions internes face à la nécessité de s’adapter.
Si cette vision floue permet de projeter ses propres fantasmes et de se connecter à son propre imaginaire, elle empêche une réflexion plus nuancée qui permette de réellement s’approprier les référentiels nordiques, alors que c’est précisément dans les modèles hybrides que l’on peut trouver des choses intéressantes.
Peut-on importer le modèle suédois en France ?
Tout d’abord, il n’y a pas un modèle nordique (le terme me paraît d’ailleurs impropre), mais des manières différentes d’exprimer l’ingéniosité, car la géographie et l’histoire ont créé un rapport différent à l’espace, mais aussi à l’action politique et au vivre-ensemble de pays à pays.
Dans un contexte de changement, nous avons besoin d’accroître notre capacité d’adaptation, et cela suppose de nous décentrer et de remettre en cause nos méthodes. Il ne s’agit pas de copier et transposer une réalité telle quelle sans prendre en compte des particularités territoriales très contrastées. L’hybridité est une ressource primordiale dans l’accompagnement de trajectoires locales de transition.
Ainsi, s’inspirer des pays nordiques permet de mettre à distance d’autres modèles perçus comme menaçants, comme le modèle anglo-saxon ou allemand. L’Europe du Nord peut ainsi jouer un rôle de troisième voie avec laquelle nous pouvons construire des ponts, car elle est compatible avec notre idéal d’État providence.
C’est pourquoi les personnes qui naviguent entre la France et les pays nordiques sont à même d’articuler au mieux les deux cultures et de créer des synergies.
Pensez-vous que la France va néanmoins “se nordiser” dans les prochaines années ?
Nous vivons actuellement une période de transition, tandis que l’écho aux pratiques nordiques est présent depuis un certain temps, et aborde de nombreuses problématiques actuelles, comme la gestion des ressources ou encore la construction d’une communauté basée sur la confiance.
Dans ce moment charnière, deux options se dessinent : soit les exemples nordiques reviennent en force au cœur du débat lors de la campagne présidentielle à venir, avec les initiatives franco-nordiques présentées comme des expérimentations réussies ; soit on atteint à l’inverse une saturation qui conduira à une prise de distance très forte.
Dans tous les cas, il n’en reste pas moins que les pays nordiques représentent des exemples pertinents pour enrichir notre réflexion, tant du point de vue de la méthode, que du contenu en lui-même. Les initiatives franco-nordiques restent de plus pour le moment marginales, et se heurtent encore trop souvent à des obstacles administratifs au lieu d’essaimer sur l’ensemble du territoire.
Finalement, la prochaine étape consiste peut-être à partir de ces exemples franco-nordiques pour développer une méthodologie de la transition articulée autour d’une « pensée pratique » et ainsi réellement définir une troisième voie plus consensuelle, au-delà des anciennes oppositions… de quoi écrire un second tome sur la France à l’heure nordique !
La France à l’heure nordique, Nicolas Escach, Éditions Les Pérégrines, Date de parution : 14 octobre 2021, Collection : Docs et Essais, Format : 14 x 20,5 cm, Pages : 240 pages, ISBN : 979-10-252-0537-2, Prix TTC : 20 €, https://editionslesperegrines.fr/fr/books/la-france-a-lheure-nordique-0
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