En pleine crise du covid-19, dans une Suède qui a délibérément choisi le non confinement et la responsabilisation de chacun, la solidarité n’est pas un vain mot. Les Suédois font, comme partout ailleurs, contre mauvaise fortune bon cœur et la collectivité joue la carte de l’entraide mutuelle grâce à une mobilisation forte et aux efforts de chacun.
La famille royale donne le ton
Carl Gustav XVI a appelé l’ensemble de la population au respect des consignes sanitaires, dans son discours diffusé à la télévision dimanche 5 avril. La responsabilité de chacun est engagée, comme le démontrent le roi Carl Gustav XVI et la reine Sylvia, eux-mêmes retirés dans leur château de Stenhammar puisqu’ils appartiennent au groupe à risque. La princesse Victoria a apporté son aide à l’association Stadsmission dans le cadre d’une mission bénévole où elle a préparé et distribué des paniers repas destinés à des personnes en situation d’isolement. Cependant, son époux le prince Daniel, greffé d’un rein il y a dix ans, fait partie des personnes à risque. Devant les critiques, le couple a décidé de rester dorénavant loin de la scène publique réelle, mais tout en oeuvrant à distance, virtuellement. De son côté, la princesse Sofia, épouse du prince Philip a suivi une formation en soins infirmiers, la même formation de trois jours proposée au personnel de cabine de la compagnie aérienne SAS en vue de servir de renfort à l’hôpital de Sophiahemmet à Stockholm.
Des réseaux vraiment sociaux
Le net est le cadre d’une solidarité sans précédent. L’idée est de faire de ceux qui restent chez eux des héros (Bli en hemmahjälte genom att inte gå till affären). Pour cela, le réseau God hjälp s’est mis en place pour organiser les courses à distance, une collaboration entre Good cause, la fondation Norrsken, la fondation H&M et les acteurs de la grande distribution : Willys, Tempo, Hemköp, Coop, Lidl et ICA. Mais c’est surtout sur les réseaux sociaux que tout se joue, que ce soit pour être bénévole et aider le ICA de votre quartier à empaqueter les commandes en ligne ou pour grossir les rangs des groupes d’entraide de voisinage. Les créations de groupes Facebook ont explosé en quelques jours. Au sud de Stockholm, deux étudiantes ont lancé le groupe Corona – aide aux achats de nourriture pour les groupes à risque ! Elles ont comptabilisé près de 6 000 membres en deux jours et plus de 17 000 actuellement.
Gratitude virtuelle
Cet élan de solidarité est beau à voir, mais pour tous les caractères latins, précisons ce fait : cela ne veut pas dire que vous créez du lien. Après accord en ligne, le livreur improvisé vous dépose les courses sur le pas de votre porte, vous remboursez par Swish, et ce n’est même pas dit que vous puissiez saluer votre “sauveur” de visu, ne serait-ce que pour le remercier d’un geste de la main. C’est l’idée de ces réseaux, la distanciation sociale est respectée, il n’y a pas de contact physique, ni même visuel dans la plupart des cas. Pas d’effusion de gratitude. L’aide est apportée mais n’a pas besoin de reconnaissance, et c’est très suédois comme comportement !
A travers le pays, des initiatives similaires ont été prises, les gens s’organisent via les médias sociaux ou des associations déjà existantes de voisins, ou encore mettent des petits mots sur le tableau d’annonces dans leurs cages d’escalier pour offrir de l’aide à leurs voisins, organiser des apéros sur leur palier…. On passe à l’ère de l’aide virtuelle, du volontariat digital.
Les jeunes mobilisés
Les étudiants se sont également fortement impliqués et mobilisés. Lorsque les universités ont fermé, des groupes Facebook ont été créés pour offrir de l’aide aux élèves qui étudient dorénavant à domicile. De leur côté, les étudiants en chimie de KTH se sont engagés à fabriquer du gel hydroalcoolique conformément aux instructions de l’OMS. Des centaines d’étudiants en médecine souhaitent pouvoir renforcer les services hospitaliers en cas de demande accrue de professionnels de la santé. L’initiative s’adresse aux étudiants en médecine des semestres ayant validé leurs neuf premiers semestres d’études (à partir de cette date. les étudiants ont le droit de pratiquer comme internes). Jusqu’à présent, environ 500 étudiants des hôpitaux universitaires ont fait part de leur intérêt. L’idée pour ces apprentis médecins est de se faire connaître auprès de Socialstyrelsen afin que l’autorité puisse les convoquer si besoin.
La communauté francophone en temps de crise
La communauté francophone n’est pas en reste. Bien évidemment, l’équipe de la Suède en Kit vous tient informés des dispositions prises par le gouvernement et de toutes les informations relatives à la situation en temps réel.
L’ambassade de France en Suède a fait rapidement circuler l’information relative au service d’urgence SOS un toit du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Ce service visait la mise en relation de Français bloqués à l’étranger et de Français établis hors de France pouvant les accueillir temporairement. La situation n’ayant pas atteint cet extrême en Suède, le service n’a pas d’utilité sur le territoire suédois mais a le mérite d’exister.
Par ailleurs, un groupe Facebook créé par notre contributrice Noémie Altschul il y a deux mois, Coronavirus (COVID-19) Information / Solidarité Français de Suède, offre une plateforme de partage pour les personnes à la recherche d’informations pour et à propos des Français pendant la crise du coronavirus en Suède. On y trouve également un fichier d’entraide entre francophones, qui à l’heure qu’il est, a permis de mettre une cinquantaine de personnes en contact et grâce auquel une dizaine aide quotidiennement des Français malades ou appartenant au groupe à risque.
Et si vous souhaitez aider les entrepreneurs français ou si vous-même voulez vous faire connaître votre entreprise, n’hésitez pas à consulter la liste des Entrepreneurs francophones de Stockholm qui circule sur le groupe Facebook des Français de Stockholm sur l’initiative d’Emmanuel Rothan-Cederberg.
Enfin, soulignons le travail de l’association Stockholm Accueil qui continue d’œuvrer à sa vocation première : tisser du lien social au sein de la communauté francophone. L’association propose des activités journalières pour occuper petits et grands, répond à toutes les questions via son secrétariat très actif et prépare d’ores et déjà la rentrée prochaine.
Enfin, notons que l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) se propose d’accompagner les familles françaises qui seraient aujourd’hui en grande difficulté financière et dans l’incapacité de faire face au paiement des frais de scolarité pour l’année scolaire 2020/2021. Un aménagement des bourses scolaires est mis en place à titre exceptionnel.
Un laboratoire à taille humaine
“Il y a un fort sentiment de solidarité dans la crise”, explique Erika Wall, professeure agrégée de sociologie. Et les sociologues s’en donnent à cœur-joie ! De nombreuses recherches sont menées sur les effets de la crise et comment celle-ci affecte les comportements. Des études sont également menées sur nos comportements : le stockage de notre alimentation, la vie quotidienne en temps de pandémie, notre état mental… Il est possible de contribuer à ces recherches en racontant votre histoire par écrit ou à l’aide de photos en se rapprochant des chercheurs sur ce lien. De son côté, le Musée nordique a créé une collection numérique participative sur Minnen.se à laquelle tout le monde peut participer. L’idée est de montrer quels sont les impacts de la pandémie sur la vie quotidienne. En moins d’une semaine, plus de 1000 histoires ont été soumises.
Le bon côté des choses
Les fraudeurs utilisent la pandémie comme prétexte surtout auprès des personnes âgées pour pénétrer dans leurs domiciles en déclarant travailler pour la détection du Covid-19. Il y aura toujours des profiteurs… Malgré cela, les aspects positifs sont plus nombreux que ce que l’on peut imaginer. Par exemple, en raison de la diminution des déplacements, le nombre de cambriolage a diminué de moitié au cours des deux dernières semaines de mars en Suède. La tendance est visible au niveau national et est la plus importante dans la région de Stockholm. Un autre secteur marqué par le Covid-19 est la contrebande, notamment avec un nombre moindre de saisies d’armes et de drogues en raison de la fermeture des frontières. Côté pollution, les pics d’émissions mesurés par le trafic aux heures de pointe ont diminué dans plusieurs villes suédoises. À Stockholm, le trafic a diminué de 30 % depuis le début de la crise. Certains jours, les niveaux de gaz d’échappement dangereux sont réduits de moitié. Il y a quand même de quoi retrouver le moral en ces temps un peu moroses !
La responsabilité : un enjeu de société
En pleine crise de covid-19, la distance physique est de mise et l’éloignement sanitaire n’est pas une notion difficile à faire respecter en Suède. Seulement avec l’arrivée des beaux jours, on pourrait croire que les Suédois perdent la raison. Le non confinement pour lequel le gouvernement a opté mise sur la responsabilisation de chacun. Les messages radio sont clairs, la communication importante. Alors oui, les terrasses de café et les magasins sont ouverts, mais c’est à chacun de savoir ce qu’il a à faire pour se protéger et également aussi pour protéger les autres. Basée sur des informations données par des scientifiques aguerris, chacun se forge une ligne de conduite qu’il suit et respecte. C’est ce qui est certainement le plus difficile à admettre pour toute personne non-suédoise : chacun met son propre raisonnement au service de sa famille, ses collègues, ses amis, de toute la société.
La forte mobilisation des particuliers
L’individualisme n’est qu’un aspect, certes très marqué, des relations sociales existantes dans la société suédoise. Mais au royaume de Suède, on n’est pas plus égoïste qu’ailleurs. Les particuliers se mobilisent en masse pour subvenir aux besoins de ceux qui nécessitent aide et soutien. Peut-être la générosité est-elle simplement moins ostentatoire, dans une démarche finalement culturellement très cohérente. En tous cas, au vu de ces innombrables initiatives, être Suédois à l’heure actuelle n’est certainement pas synonyme d’indifférence.
merci !
Merci pour cet article. C’est cette capacité à rendre service, faire du bénévolat, etc. sans vouloir créer le moindre lien pour autant, qui reste difficile à comprendre quand on est habitué aux cultures plus chaleureuses.
Selon cet article : https://bppblog.com/2020/04/23/the-swedish-exception/, le gouvernement n’a pas opté pour le non-confinement. Il n’avait pas cette option, vu la constitution suédoise.