Un mouvement internaute citoyen commence à faire parler de lui sur les réseaux sociaux et dans les médias : né il y a quelques années en Suède, #jagärhär a aujourd’hui des ramifications dans différents pays, en Europe, aux États-unis, jusqu’en Australie et bientôt en Inde.
Les débuts de #jagärhär
Tout commença en mai 2016 quand Mina Dennert, une journaliste suédoise de Göteborg, s’est lassée de voir des propos haineux, racistes, homophobes, discriminatoires, sur les réseaux sociaux. Elle décida alors avec quelques amis de créer un groupe Facebook qu’elle appela #jagärhär — « je suis là ». Le principe d’action est simple : les membres du groupe signalent des fils de discussion sous des articles de presse publiés sur Facebook, remplis de haine, de mépris, de désinformation, de cyber-harcèlement. Les membres qui le souhaitent s’y rendent pour équilibrer le débat, rétablir les faits, et contre-balancer la haine. Ils peuvent utiliser le hashtag #jagärhär pour signer leurs commentaires, ce qui leur permet aussi de se retrouver dans les fils de discussions et de se soutenir les uns les autres. De plus, le hashtag attire l’attention d’autres internautes qui, curieux, demandent à intégrer le groupe Facebook.
#jagärhär, qui compte aujourd’hui presque 75 000 membres, œuvre pour l’adaptation de la société afin d’accueillir TOUS les individus dans leur diversité, en défendant la liberté d’expression et la démocratie. Créer un climat de discussion respectueux et tolérant, c’est permettre à chacun de s’exprimer librement.
#jagärhär est un groupe ouvert à toutes les opinions et ne fait pas de propagande politique. Les administrateurs et modérateurs n’imposent jamais aux membres quoi penser ou écrire ; #jagärhär s’oppose farouchement à la pensée unique. Si le groupe Facebook est fermé, c’est pour protéger les membres. Mais tout le monde y est bienvenu, tant qu’on ne s’adonne pas soi-même à la cyber-haine ou au cyber-harcèlement.
Une « armée de bisounours »
Certains parlent de #jagärhär comme d’une « armée de bisounours » répondant aux armées de trolls qui, sous couvert d’un présupposé anonymat, à l’abri de leur écran et de leur clavier, croient pouvoir déverser leur haine sans risque de représailles. En réalité, depuis 2017, une association de juristes suédois, Näthatgranskaren (de näthat = cyber-haine et granskare = enquêteur), traque tous les propos incitant à la haine qui tombent sous le coup de la loi suédoise et dénonce leurs auteurs à la police. Plusieurs cas ont mené à des jugements où les coupables ont dû payer des amendes de plusieurs milliers de couronnes pour avoir écrit par exemple « jävla neger » (« putain de nègre »).
Les internautes qui initient volontairement des polémiques et incitent à la haine sur un forum de discussion, un blog ou un réseau social restent une minorité, mais ils monopolisent le débat, forçant souvent les autres à se taire. Leurs messages de haine, de désinformation et de propagande ont une fâcheuse tendance à se répandre, et les rumeurs deviennent rapidement des fake news. Le but de cette « armée de bisounours » est de rééquilibrer les débats sur les réseaux sociaux : de redonner l’espace à la parole pacifiste et aux arguments constructifs, d’encourager les gens à exprimer leurs opinions sans craindre de se faire insulter en retour, de lutter contre la désinformation, le cyber-harcèlement, le whataboutisme.
Les actions de #jagärhär
#jagärhär est intervenu par exemple lors de la vague de haine qui surgit autour de la campagne publicitaire d’Åhléns pour la fête de Lucia en 2017 : le modèle, vêtu de la traditionnelle tunique blanche et portant la couronne de bougies, était… un petit garçon de couleur. De nombreux internautes criaient au scandale — selon eux Lucia doit être une jeune fille blonde —, appelaient au boycott du grand magasin, et sont même allés jusqu’à menacer la famille du garçon… qui a fini par demander à Åhléns de retirer la publicité.
#jagärhär a aussi apporté son soutien à Linnéa Claesson, une ancienne handballeuse suédoise, aujourd’hui étudiante en droit, à la tignasse arc-en-ciel. Sur son compte Instagram assholeonline, elle dévoile, inlassablement et avec humour, les preuves de sexisme et de cyber-harcèlement dont elle est la cible au quotidien. En tant que féministe luttant contre les discriminations et le racisme, et militant pour les droits LGBTQ et l’égalité des sexes, elle se heurte constamment à un mur de haine, quand il ne s’agit pas de pures menaces.
#jagärhär s’exporte
La haine n’a pas de frontière : Facebook et Twitter atteignent les internautes sur la planète entière et racisme, homophobie, rumeurs ou fake news se répandent presque instantanément. Heureusement, nombreux sont les internautes qui aspirent à un climat de discussion apaisé. C’est ainsi que le groupe anglais #iamhere a vu le jour en 2017, puis #ichbinhier en Allemagne, #Vierher en Norvège, #olentäällä en Finlande, #somtu en Slovaquie, #iamhereCanada, #iamhereAustralia, #iamhereUSA, #iosonoqui en Italie et enfin, #jesuislà en France, en ce début d’année.
Cette expansion récente est entre autre due à un article paru mi-janvier dans le journal anglais The Guardian, qui retrace l’histoire de #jagärhär. Cet article a été largement relayé sur Facebook et Twitter, puis récupéré au niveau mondial par la presse écrite, comme en France par exemple, sur Slate.
Jour après jour, le combat perdure pour faire d’internet un monde meilleur. Pour rejoindre l’« armée de bisounours », #jagärhär ou #jesuislà !
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