L’habitat groupé (ou cohabitat, ou encore cohousing ; en suédois : kollektivhus) repose sur la mise en commun de certains espaces et/ou services tels que cuisine, buanderie, espaces de jeux ou de détente, école ou encore services d’entretien, et la coopération des locataires tout en préservant l’autonomie de chacun.
En Suède où la notion de collectivité est très forte, quelle forme cet habitat revêt-il ? Depuis quand existe t-il ? Et en vrai, vivre tous ensemble, ça se passe comment ?
L’idée de départ : des domestiques moins chers
En Suède, le concept de l’habitat groupé date du début du XXème siècle. À l’époque, il ne s’agissait pas tant de construire l’espace de vie idéal et coopératif tel qu’on l’imagine aujourd’hui mais plutôt de créer des espaces de vie rationnels. La première kollektivhus suédoise, Hemgården, un immeuble de 60 logements de 2 à 5 pièces équipé d’une cuisine unique, a vu le jour à Östermalm à Stockholm en 1906. L’idée maîtresse de ce projet s’adressait aux familles aisées. Afin de diminuer les coûts du foyer, les domestiques étaient partagés entre les locataires et la surface des appartements était réduite par la suppression de la cuisine, la chambre de bonne et de quelques espaces de rangement. Une cuisine centrale et une boulangerie se trouvaient au sous-sol de l’immeuble. Les résidents pouvait commander trois repas par jour, acheminés par des monte-plats dans le bâtiment. La vaisselle était renvoyée pour être lavée par le personnel de service qui avait également pour tâche de s’occuper de la lessive, du ménage et de divers autres services. Après la première guerre mondiale, la société de gestion de la kollektivhus a fait faillite. Des espaces communs ont ensuite été aménagés au sous-sol et chaque logement est aujourd’hui équipé de sa propre cuisine.
L’indépendance de la femme au foyer
Dans les années 30, les architectes commencèrent à considérer le cohabitat comme l’expression de la modernisation de la société. Selon eux, plus qu’un instrument pour « partager la bonne » dans les foyers riches, la kollektivhus permettait aux femmes de combiner les tâches domestiques avec un emploi rémunéré exercé en dehors du foyer. Ce type d’habitat permettait à la femme de s’émanciper. Les organisations féministes prirent le relais et contribuèrent largement à son développement. Entre 1930 et 1941, quatre des cinq kollektivhus créés étaient destinées aux femmes célibataires.
Le fonctionnalisme architectural
Parallèlement, la première kollektivhus fonctionnaliste a été construite en 1935 à John Ericssonsgatan 6 à Stockholm (l’immeuble de la Petite France !). Son architecture reflète l’idéal de la vie rationnelle : les monte-plats et le système téléphonique interne en sont des preuves, mais également la disposition des appartements conçus selon le principe d’exigences minimales. Malgré la petite superficie des appartements, l’unité a surtout attiré des intellectuels radicaux.
Les femmes et les enfants d’abord
Dans les foyers, comme les femmes travaillaient de plus en plus, les hommes devaient assumer eux aussi leur part de tâches ménagères. Il fallait faciliter la vie quotidienne des conjoints tout en répartissant les rôles à égalité. Les organisations féministes suédoises ont continué de faire pression afin de libérer la femme de son rôle de bobonne. Les services collectifs dans l’immeuble sont apparus. Tous les membres de la famille étaient concernés dans l’offre de ces services, alors que les familles modernes devenaient plus petites et plus isolées. Dans les années 50, les services pour enfants n’étaient plus décrits comme une solution d’urgence, mais comme une contribution constructive à leur développement. Afin de créer un environnement socialement favorable, stimulant et sécuritaire pour les enfants, les crèches aux méthodes pédagogiques souvent avant-gardistes se sont alors développées et imposées.
La démocratisation : le familjehotell
Les hôtels familiaux sont apparus, comme à Hässelby : cinq bâtiments construits en 1955 avec des jardins communs, des garderies, des boutiques, un garage, un restaurant et même une chapelle. Les espaces communs sont transformés en lieux de vie complétant les appartements privés, la salle à manger restant le cœur du bâtiment. Dans les années 1960, de jeunes familles s’installèrent, introduisant des modes de vie plus modernes, les équipements collectifs contribuant largement à la solidarité entre les locataires. Mais le restaurant a dû fermer en 1976. Environ 150 des 300 locataires ont alors commencé à s’organiser pour acheter la nourriture, préparer la cuisine en équipes, vendre les tickets-repas et aujourd’hui, seule une petite salle à manger est utilisée pour le service bénévole de restauration. Mais à l’époque, une autre forme d’habitat venait de voir le jour.
La version moderne du cohabitat
Toutes les kollektivhus construites en Suède avant 1975 (environ 16 unités) étaient basées sur la présence de personnel de service employé pour le fonctionnement de l’unité. On rationnalisait le fonctionnement du logement sans chercher à faire coopérer les locataires. Cependant, les échanges entre locataires et l’utilisation des espaces communs contribuaient à tisser du lien social. Le nouveau type de cohabitat, qui s’appuie sur le travail collectif de l’habitant et ne fait plus appel à des salariés, connaît une percée dans les années 1980. De la kollektivhus du début du XXème siècle, on passe à l’habitat groupé moderne.
Naissance de l’habitat groupé
En 1977, un groupe de femmes de la nouvelle génération féministe a aidé à la naissance de ce nouvel habitat. Elles rejetaient l’idée selon laquelle les tâches ménagères devraient être réduites au maximum. Elles voulaient au contraire mettre en avant la valeur de cette culture féminine. Cuisiner, coudre, élever des enfants et participer à d’autres activités liées à la maison étaient des activités agréables et conviviales si elles étaient effectuées en communauté. Cela permettait également de gagner du temps sans l’aide de personnel. Au cours des années 1980, plus de 30 bâtiments collectifs furent construits en Suède d’après ce concept. C’est l’ère du “Bo i gemenskap” (Vivre en société). Les nouvelles unités offrent bon nombre d’espaces communs : salle commune pour les repas et les rassemblements, grandes cuisines, salle de loisirs et de bricolage, bureaux, salle de sport, de musique, des chambres d’amis et même un bastu.
Tous et tout, ensemble
La première unité, Stacken, construite à Bergsjön (Göteborg) en 1979, est un exemple typique de ce nouveau modèle. Une cuisine centrale, une salle à manger et une crèche pour enfants ont été aménagées au 5ème étage, ce qui montre que les installations communes sont uniquement destinées aux résidents. Les habitants ont mis en place un nouveau type de structure administrative afin de maîtriser totalement l’entretien, le recrutement des locataires et l’utilisation des salles communes. Les questions telles que la nourriture, la propreté, la consommation de tabac et d’alcool, l’éducation des enfants et le fonctionnement interne sont abordées et gérées en commun.
Les seniors à l’honneur
Dans les années 90, une nouvelle version d’habitat groupé a été conçue pour répondre aux besoins et aux intérêts des seniors. Toujours sur le même principe communautaire, le Ferry à Södermalm à Stockholm a été le pionnier en 1993. Une limite d’âge est définie chez les adultes et l’absence d’enfants vivant en permanence dans le ménage est requise. Les membres doivent s’entraider jusqu’à ce que des soins professionnels soient nécessaires. Il existe aujourd’hui plus d’une demi-douzaine de ces kollektivhus.
La kollektivhus aujourd’hui
L’association Kollektiv NU compte à ce jour une cinquantaine d’habitats collectifs. 42 des unités collectives sont sous la responsabilité des communes. Environ 8 sont des coopératives et 8 sont des propriétés privées. Pour devenir locataire avec un bail locatif (hyresrätt) dans une unité à Stockholm, il faut s’inscrire comme pour n’importe quel appartement dans la queue de Bostadsförmedlingen. Mais ces dernières années, le marché des kollektivhus a évolué et beaucoup ont été privatisées. On peut via un bostadsrätt devenir co-propriétaire de son appartement en kollektivhus. Plus de la moitié des unités sont situées dans la région de Stockholm. Les tailles varient de 5 à 184 appartements.
Dans le concret
La participation collective est définie par l’association de gestion de la kollektivhus. Chaque association est libre de fixer pour son unité le degré d’implication de ses résidents. A Prästgårdshagen à Älvsjö, au sud de Stockholm, lors de la signature du contrat, il est demandé aux locataires de rejoindre l’association de l’unité et d’accepter des travaux obligatoires, tels que la cuisine ou le ménage. Habituellement, chaque habitant cuisine dans une équipe de deux personnes une fois toutes les deux semaines, durant environ trois heures. Les locataires prennent en charge les tâches de maintenance, telles que le nettoyage des salles communes, le jardinage et la tonte des pelouses, le déneigement et les réparations mineures. Ils ont ainsi réussi à réduire leurs coûts de logement et à effectuer de nouveaux investissements dans les installations communes.
Typologie du colocataire
Jusqu’ici, la kollektivhus a principalement attiré des personnes instruites, employées dans le secteur public et occupant des emplois indépendants et à vocation sociale. L’objectif des membres d’un cohabitat peut se résumer en trois mots : sécurité, entraide, autonomie. Ils rejettent souvent le consumérisme et prônent l’écologie, l’alimentation bio, un environnement chaleureux et sécurisé pour les enfants et des contacts de bon voisinage. Les liens tissés entre tous augmentent la sécurité de chacun. La présence du groupe rend moins dépendant affectivement, donc plus libre et autonome vis-à-vis de ses proches. De plus, les dépenses sont réduites par la seule existence du groupe.
Malgré la tendance post-matérialiste de notre époque et le regain d’intérêt des instances publiques, l’habitat groupé représente une vision de l’habitat encore minoritaire, encore considérée comme douteuse. Le temps n’est pas encore venu où cette forme de logement sera envisagée comme une alternative standard sur le marché et adressée à tous.
Sources :
From Central kitchen to community co-operation – Development of Collective Housing in Sweden, Pr Dick-Urban-Vestbro, Dept of Infrastructure, Royal Institute of Technology (KTH)
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