Härskarteknikerna. Ce mot un rien barbare traduit un concept qui l’est tout autant en psychologie : les techniques de domination. Ces techniques définissent en 5 points les stratégies de manipulation sociale par lesquelles un groupe dominant maintient sa position dans une relation. Très importantes et reconnues dans la société scandinave, la notion est utilisée pour désigner tout type de manipulation qui a lieu dans une relation humaine. Explications.
Définition scientifique
Les härskartekniker sont des comportements manipulateurs utilisés par une personne ou un groupe pour obtenir du pouvoir et du contrôle sur d’autres personnes ou groupes. Ces comportements peuvent être à la fois conscients et inconscients et sont souvent utilisés pour créer un déséquilibre dans une relation ou une situation, où la personne qui les utilise se trouve dans une position supérieure et celle qui les subit est dans une position inférieure.
Ces techniques dominantes peuvent être subtiles ou plus ouvertement destructrices et peuvent se produire dans différents contextes hiérarchiques établis ou cachés tels que les lieux de travail, les familles ou les groupes sociaux; comme les adultes contre les enfants, les aînés contre les jeunes, les hommes contre les femmes, les supérieurs contre leurs employés. On définit 5 ou 7 techniques qui s’imbriquent souvent les unes dans les autres et peuvent être utilisées simultanément.
Origines du concept
Les härskartekniker sont un système développé en 1945 par le psychologue et philosophe norvégien Ingjald Nissen. Mais ce n’est qu’à la fin des années 1970 que le système a été popularisé par la psychologue et politicienne norvégienne Berit Ås.
Alors qu’elle participait à une réunion, Berit Ås a découvert plusieurs façons par lesquelles les hommes lui faisaient comprendre que ce qu’elle disait n’était à leurs yeux pas important. Elle a commencé à imiter ces manières : prendre un café ou jouer avec quelque chose quand quelqu’un parle, etc… et a découvert que cela l’aidait à faire entendre ses opinions. Elle a ensuite repris les notions de Ingjald Nissen et les a organisées en 5 points.
Les 5 points de Berit Ås
1. l’invisibilité
On vous donne l’impression que ce que vous faites et dites n’a ni importance ni valeur. Par exemple, lorsque quelqu’un gâche votre discours en l’interrompant constamment, ou après votre discours, il ne montre aucune réaction à ce que vous avez dit. Cela peut également se produire lorsque quelqu’un change de sujet sans réagir à ce que vous venez de dire. Vous n’existez pas.
2. Le ridicule
On vous dit des choses qui vous font vous sentir insignifiant, ridicule et embarrassant, par exemple en levant les yeux au ciel. On vous ridiculise « gentiment », par exemple en utilisant des expressions comme « petit.e », « brave », ou encore des noms d’animaux « poulet.te ». Des gestes ou autres actions similaires ont le même effet, comme des petites tapes sur la tête d’un enfant. Ces actions créent le sentiment d’être incompétent, ou de faire ou dire quelque chose qui ne mérite pas d’être pris au sérieux.
3. La rétention d’informations
Quand une personne ou un groupe est empêché d’agir comme il l’aurait fait s’il en avait su plus ou mieux. L’accès à la connaissance et à l’information donne compréhension, pouvoir et permet la participation. La rétention d’informations fait que vous vous sentez exclus.
4. La double peine
La double peine ou double punition donne le sentiment que peu importe ce que vous faites, vous faites toujours mal. Exemple : On peut vous demander d’en faire davantage, mais si vous en faites davantage, on vous dira que c’est trop.
5. La culpabilité et la honte
On vous fait ressentir de la honte et de la culpabilité pour une action, une caractéristique, un événement ou une situation, même si vous n’en êtes pas la cause. Cette situation se produit souvent comme une combinaison des techniques 2) Le ridicule et 4) La double peine.
Les 2 bonus
Berit Ås a ensuite élargi la liste avec 2 points supplémentaires :
6. L’objectification
On commente ou on discute votre apparence dans des contextes non pertinents. Ce peut être aussi des regards sur votre corps, vous devenez réduit à un meuble, à un objet.
7. La violence ou menace de violence
On utilise la force physique ou mentale contre vous pour obtenir gain de cause, ou on souligne que cette possibilité existe en vous menaçant. Vous pouvez vous sentir menacé même sans qu’aucune parole ne soit prononcée. Bien souvent, cela peut prendre la forme de violences physiques, psychologiques ou sexuelles.
Derrière le mot suédois
Härskare signifie « Personne masculine détenant le pouvoir ». Le concept des härskartekniker, dans les années 70, est principalement développé dans une vision féministe. Il a été et est encore utilisé par les mouvements de défense des femmes comme la Riksorganisationen för kvinno- och tjejjourer i Sverige (ROKS) (Organisation nationale des services d’urgence aux femmes et filles en Suède) qui s’appuient dessus pour dénoncer le maintien de l’ordre des sexes. Grâce à la connaissance des 5 härskartekniker, les femmes pourraient, selon Berit Ås, se soutenir mutuellement en public de manière discrète, en levant le nombre approprié de doigts pour signaler quelle technique de domination est utilisée à ce moment-là face à elles.
Mais en dehors de tout rapport hommes/femmes, la théorie s’applique à bien d’autres situations. En psychologie sociale, le terme est amplement repris pour définir des relations de subordination et, d’une certain façon, de manipulation. Les härskartekniker sont utilisées pour exclure, par exemple, les personnes appartenant au « mauvais » milieu social, n’ayant le « bon » âge ou faisant partie d’une ethnie différente, ou encore en dehors du « pouvoir ». On les exploite de plus en plus dans le cadre des relations professionnelles, mais aussi au sein des relations familiales. En fait, ces techniques peuvent être identifiées n’importe où, et utilisées par n’importe qui.
Les contre-stratégies
En en apprenant davantage sur les techniques des « härskare » (dominants), et en utilisant systématiquement des stratégies de contre-attaque, il devient plus facile de les combattre. Voici 5 points pour vous aider.
1. Prendre sa place
Sans montrer votre colère ou votre frustration, affirmez immédiatement votre droit d’être entendu ou vu avec calme et en ayant confiance en soi. Exigez le respect ! En retour, il est important de prendre au sérieux votre entourage et de leur montrer votre engagement. Cela renvoie du respect et en cela, vous vous rendez indirectement visible.
2. Remettre en question
Prenez conscience de vos compétences. Il faut veiller à ne pas vous laisser emporter par le sentiment d’humiliation et de honte que dégage l’autre partie afin de ne pas tomber pas dans le piège de la réduction ou de l’infantilisation. Ne pas rire à une blague, faire ralentir la conversation et exiger que les moqueries soient analysées permettent de remettre le dominant à sa place. En tous cas, il faut rester calme et logique et indiquer clairement que l’on n’accepte pas ce qui se passe.
3. Mettre cartes sur table
Vous avez le droit de recevoir les informations au même titre que les autres. Sinon, il faut faire remarquer que toutes les informations n’ont pas été partagées. Si la rétention d’informations est répétitive, elle est à signifier clairement à la personne qui en porte la principale responsabilité. Aucune décision ne peut être prise dans un groupe de travail si quelqu’un ne dispose pas d’informations suffisantes. En retour, vous veillerez à informer et à inclure toutes les personnes concernées dans les processus décisionnels.
4. Briser le modèle
Vous définissez vous-même ce qui pèse le plus dans votre balance personnelle. Adoptez le mantra : « Je sais pourquoi je fais ce que je fais, je sais ce qui est important pour moi dans la vie ». Définissez clairement vos priorités en précisant que cela n’est pas fait dans l’objectif de nuire à quiconque, mais que c’est votre choix personnel. Cela veut dire qu’il faut savoir dire non à quelqu’un en lui faisant comprendre que l’on dit non à une proposition (d’activité, de décision, etc.) mais que ce non n’est pas un rejet de la relation.
De plus, vous pouvez appliquer la technique de la double récompense: « Quoi que je fasse, je le fais bien ».
5. Intellectualiser
Prenez conscience que vos sentiments de culpabilité et de honte vous sont infligés par l’extérieur. Observez, dans les moments où ces sentiments sont très forts, des modèles à la fois dans votre propre comportement et dans celui des autres qui vous donneront un aperçu de la façon dont nous apprenons tous à infliger aux autres et à accepter pour nous-mêmes la honte et la culpabilité. En intellectualisant ces situations, vous aurez une compréhension plus large des modèles culturels globaux et ainsi, vous pourrez vous en débarrasser. La technique d’affirmation doit commencer de l’intérieur, en regardant de vos propres yeux à la fois vous-même et les autres et en définissant vos propres normes positives. N’oubliez pas que l’affirmation de soi signifie aussi l’affirmation des autres.
Que faire à présent que l’on sait ?
La manipulation mentale est à fuir, nous sommes tous d’accord. Mais si c’était si simple… Il faut se rendre compte que tout le monde, quel que soit son sexe, son âge ou son rang social applique à un moment ou un autre les härskartekniker. Y compris nous-mêmes, sans que nous nous en rendions compte ! Dans 90 % des cas, cela se produit inconsciemment. Alors, à travers le concept défini par Berit Ås, nous avons un bon point de départ pour appréhender ce mode de fonctionnement ancré culturellement, qu’il nous est indispensable de reconnaître. Comprendre le mécanisme des techniques de domination permet d’opter pour un changement à long terme des modèles sociaux négatifs et oppressifs et de tendre vers des relations meilleures, vis-à-vis de soi-même mais aussi vis-à-vis des autres, quels qu’ils soient, et à tous les niveaux d’interaction sociale.
Soyez le premier à commenter