
La Suède en kit vous propose, dans sa série Kultur’Elles, de découvrir celles qui ont fait l’Histoire de la Suède, des femmes fortes et puissantes, influenceuses de leur temps dont l’empreinte politique, sociétale ou artistique ont marqué et façonné le pays. Moa Martinson est l’une des auteures suédoises les plus appréciées et les plus lues et la seule femme de la vague moderniste prolétarienne. En 1954, le Premier ministre Tage Erlander a proclamé Moa Martinson Mère de la Nation. Comme aucune autre, elle a bouleversé les femmes suédoises avec ses livres décrivant le quotidien de la classe ouvrière. Elle a écrit sur le viol conjugal, sur la pauvreté des travailleuses et les conditions de vie misérables de la Suède des années 1930. Son roman réaliste Mor gifter sig s’est vendu à 92 000 exemplaires en seulement une semaine lors de sa sortie !
Née Helga Maria en 1890, fille de Kristina Swart mère célibataire de 19 ans, ouvrière d'usine, l'enfance pauvre de Moa est rythmée par les déménagements fréquents dans les quartiers précaires de Norrköping, parfois mal nourrie et négligée mais toujours chérie par sa mère. L'année de ses 6 ans, sa mère se marie avec Alfred Karlsson, un ouvrier feignant et violent porté sur la boisson. Elle décrit son enfance misérable et sordide dans la trilogie autobiographique de Mia son alter ego de 7 ans, dont "Mor gifter sig", Mère se marie, pas encore traduite en franÇais. Malgré son enfance instable et son cursus scolaire en pointillé, Moa obtient toujours les meilleures notes.
Moa Martinson à son domicile de Sorunda en 1957 crédit photo : ROLF OLSON/PRESSENS BILD/SCANPIX
Telle mère, telle fille
Moa suit une formation de serveuse et travaille quelques années dans les cuisines de restaurants du centre de la Suède. Mais vers la vingtaine, elle subit le même sort que sa mère. Elle tombe amoureuse d’un ouvrier de dix ans son aîné, beau mais colérique et alcoolique. Ils s’installent dans une maisonnette du Södermanland et Moa se retrouve enceinte, 5 fois en 6 ans, donnant naissance à 5 fils, parfois seule sur le sol de sa cuisine. Son homme est souvent au chômage et pour subvenir aux besoins de sa famille, Moa pêche, cultive, se débrouille pour contenir la famine. Elle commence à écrire sur de vieux morceaux de papier son point de vue sur le sort difficile des femmes de la classe ouvrière, et assiste à des réunions politiques. En novembre 1922, elle publie sous le pseudonyme de « Helga » ou « H.J » ses articles dans la page réservée aux débats féminins du quotidien syndicaliste Arbetarens édité par Ottar, Elise Ottesen-Jensen, une autre grande dame du féminisme en Suède.
En 1924, son premier roman sur le monde des ouvrières, Pigmamma, ( Maman bonniche) est publié sous forme de feuilleton dans le magazine anarchiste Brand, dans lequel Moa écrit dès avril 1925.
La même année, ses deux plus jeunes enfants, Knut et Manfred, meurent de noyade. Effondrée de chagrin, Moa se réfugie dans l’écriture et participe aux réunions des Jeunes socialistes à Stockholm. Elle se fait un nom, en collaborant à plusieurs journaux ouvriers.
Moa avec Harry
À l’automne 1927, lors d’une visite à la rédaction du journal Arbetare-Kuriren, Moa rencontre le jeune marin et poète vagabond Harry Martinson qui essaye de vendre ses poèmes au journal.
Karl Johansson, le père de ses enfants se suicide de facon sordide, et Moa plonge dans le chagrin et la précarité, mais grâce à l’aide généreuse de ses amis écrivains solidaires qui se cotisent, Moa Martinson peut racheter Johannesdal, sa maisonnette située vers Nynäshamn. Sa maison qu’elle aime tant ! Elle suit un cours de dactylographie. En mai 1928, Harry Martinson s’installe chez Moa pour écrire son premier recueil de poèmes. Harry, 14 ans plus jeune que Moa, souffre de tuberculose et doit suivre un traitement. Harry écrit « Je vis en mariage libre avec l’une des femmes les plus nobles et les plus radicales de la planète. Une intelligence féminine dont je n’ai pas vu d’équivalent, pas même parmi les hommes. Le couple a des hauts et des bas, Harry va et vient. Moa Martinson fortement dépressive passe l’été dans un sanatorium, où elle subit également un avortement. Le 3 octobre 1929, elle épouse Harry Martinson.
La maison de Moa Martinson est le point de rencontre des jeunes écrivains du mouvement réalisme prolétarien. Moa et Harry sont très productifs et créatifs pendant leurs onze années de mariage, même lors de leurs nombreuses crises conjugales. Ce n’est pas facile de vivre avec Moa, femme forte qui pêche, chasse, se lave dans le ruisseau, jure et fume comme un pompier. Elle est la voix de tous les travailleurs pauvres de Suède. À travers ses histoires, ses lecteurs découvrent les conditions de vie des plus vulnérables, la pauvreté, les grossesses, les maladies vénériennes, les viols et avortements illégaux et les abus. Son roman « Femmes et pommiers » dépeint la sexualité et ses effets, y compris l’accouchement, du point de vue des ouvrières et des femmes qui travaillent. Le roman met en lumière la vie et les conditions de vie des femmes dans la Suède du début du XXe siècle, dans un contexte de précarité rurale et ouvrière et d’injustice sociale. Le roman est mal accueilli par la critique, pourtant les personnages féminins complexes de Moa Martinson influeront les productions littéraires d’Ivar Lo-Johansson et Vilhelm Moberg, comme par exemple le personnage de Kristina dans la série des migrants. En 1939, Harry et Moa se séparent.
Moa après Harry
Elle devient Moa auprès du peuple suédois, notamment grâce aux éditions bon marché de ses romans vendus pour une couronne pièce sur les lieux de travail.
A la radio elle s’exprime sur des sujets féminins variés, elle est incroyablement populaire pour son franc-parler et ses positions claires.
Elle renouvelle son style littéraire à travers sa tétralogie Betty (L’amant invisible, 1943, Tu es le seul, 1952, Klockorna vid sidenvägen, 1957, et Hemligheten, 1959), un monologue intérieur inspiré de ses premières années de femme avec un mari violent et de jeunes enfants. Dans les années 50, si Moa est populaire parmi les femmes de sa propre classe sociale, elle est complètement délaissée par les historiens de la littérature, lui reprochant ses représentations de femmes et ses convictions politiques. Harry Martinson est élu à l’académie suédoise en 1949 mais l’influence de Moa Martinson dans l’oeuvre du poète n’est pas reconnue à sa juste valeur, Moa injustement oubliée en est blessée.
Ce n’est que dans les années 1980 qu’elle recommence à être appréciée et fait l’objet d’une thèse universitaire, d’un film et de plusieurs rééditions. Moa Martinson est décédée le 5 août 1964. Sa tombe se trouve au cimetière de Sorunda. Harry Martinson obtient le prix Nobel de litterature en 1974, 10 ans après la mort de Moa.
Retrouvez Femmes et pommiers https://www.lasuedeenkit.se/litterature-suedoise-3-classiques-a-decouvrir/
Visitez Norrköping et ses quartiers ouvriers :https://www.lasuedeenkit.se/norrkoping-la-manchester-suedoise-vaut-le-detour/
et en suédois : Witt-Brattström, Ebba, Moa Martinson: skrift och drift i trettiotalet, Norstedt, Diss. Stockholm : Univ.,Stockholm, 1988
en série TV sur : https://www.svtplay.se/sok?q=moa%20martinson
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