Depuis quelques années, le concept « lagom » s’exporte sous forme de livres prônant un style de vie caractérisé par un design épuré voire minimaliste, une alimentation bio, une existence en harmonie avec la nature. Mais qu’en est-il vraiment ? Est-ce que cela correspond au sens originel du mot ? La Suède en kit tente de clarifier les choses.
Un peu d’étymologie
L’origine étymologique du mot lagom (prononcez [lâgome]) vient d’une ancienne déclinaison du mot lag (= loi) où la terminaison du datif pluriel en -um lui donnait le sens de « selon la loi », pas dans le sens juridique, mais plutôt dans le sens communautaire, de règle sociale. Plus tard, le sens du mot a évolué pour signifier : « adapté, approprié, convenable ».
La légende veut que les Vikings avaient l’habitude de crier « Lag om! » quand ils buvaient chacun à leur tour dans le même pichet : il fallait prendre une gorgée lagom, pour que chaque convive autour de la table puisse en faire de même.
L’adverbe suédois lagom a pour réputation d’être intraduisible en un seul mot ; la périphrase « ni trop, ni trop peu » ou la notion de « juste milieu » se rapprochent le plus de l’idée.
Quelques exemples d’utilisation
- Dricka lagom = boire modérément.
- Vattnet är lagom varmt = l’eau est à température optimale. Tout est relatif : une eau de baignade lagom pour un Suédois ne l’est pas forcément pour un Français !
- L’expression suédoise par excellence : Lagom är bäst! = le juste milieu, c’est ce qu’il y a de mieux !
La Suède, le pays lagom ?
La Suède est souvent décrite comme landet lagom, le pays lagom : le pays de la modération, du consensus, où l’on trouve pour chaque question une réponse au « juste-milieu » qui satisfait plus ou moins tout le monde, sans créer de vagues (la fameuse peur du conflit des Suédois…), pour le bien de l’environnement, des relations et de la santé des Suédois. Une attitude à la limite du paternalisme dont certains Suédois peuvent accuser le gouvernement et les autorités suédoises.
Cette caractéristique du « ni trop, ni trop peu », les Suédois eux-mêmes peuvent l’interpréter comme de la faiblesse, un manque de courage d’affirmer clairement et à haute voix ses opinions, voire même de la lâcheté. Ce n’est peut-être pas aller trop loin que de voir dans la notion de lagom une réminiscence de Jantelagen, qui refuse la démarcation. Mais au lieu d’y voir une angoisse de l’excès, Göran Everdahl, auteur de The book of lagom. The Swedish way of living just right, pense que cet engouement international pour lagom est une marque d’admiration pour des solutions prises d’un commun accord et qui sont ressenties comme à la fois appropriées et justes. Prenons pour exemple les accords entre employeurs et employés, par l’intermédiaire des syndicats, dont le but est de trouver un compromis qui soit avantageux pour les deux parties, pour une cohabitation avec le moins de friction possible. Everdahl compare, en exagérant le trait, les Suédois à des abeilles qui s’efforcent de travailler à l’unisson, à l’opposé des « Latins » qui crient chacun leur opinion et campent sur leurs positions.
Plutôt que de chanter les louanges d’une uniformité de se comporter, de penser, de se meubler (IKEA), l’intérêt international pour le lagom, s’expliquerait par la volonté de trouver un équilibre entre travail et loisir, fête et quotidien, individualité et collectivité.
Lagom, un style de vie ?
Dans plusieurs livres sur le style de vie récemment publiés, lagom est utilisé (côte à côte avec le hygge danois) pour décrire une sorte de caractéristique scandinave qui expliquerait la réussite sociale de ces pays et le bien-être de leurs habitants. Une recette du bonheur mise à la mode, à notre époque où nombre de livres sont censés nous apprendre à mieux vivre.
La Suède, vue depuis l’étranger, est le pays qui ne verse jamais dans l’excès, qui est neutre depuis 200 ans — le pays du fameux « modèle suédois », basé sur le compromis et une économie mixte (mélangeant économie de marché et économie planifiée), avec une population relativement homogène, ni pauvre ni riche, où prime l’équilibre entre vie professionnelle et vie de famille, la proximité avec la nature… À l’aide d’un raccourci factice (car ces livres ne traite en aucun cas de sociologie), lagom est alors mis à toutes les sauces : en matière d’aménagement intérieur, de consommation, d’alimentation, de cuisine, même de spiritualité. Tout d’un coup, s’inquiéter de l’avenir de notre planète serait lagom. Prendre du temps pour soi, ne pas stresser, retrouver le plaisir de bouquiner dans son canapé ou sortir se promener dans la forêt… serait lagom. Se sentir en harmonie avec la nature, être heureux serait lagom. Et s’il s’agissait tout simplement de bon sens…
Lagom, une astuce marketing
Lagom n’a rien à voir avec tout cela, lagom n’est pas un style de vie, comme veulent le faire croire toute cette ribambelle de livres. Il s’agit tout au plus d’un état d’esprit. Cette recette du bonheur qu’on essaye de nous vendre à coup de lagom, c’est tout simplement une astuce marketing. La Scandinavie en général et la Suède en particulier sont à la mode en France et outre-Atlantique où quelques auteurs se sont appropriés un mot suédois, et en ont extrapolé son sens premier. Paradoxalement, ces livres chantant les louanges du lagom décrivent un mode de vie plutôt extrême : les intérieurs suédois ne sont pas si minimalistes que ça, l’écologie n’est pas au centre des préoccupations de tous les Suédois, qui, même s’ils ne doivent pas se vanter selon Jantelagen, ne sont pas tous aussi modérés que cela. L’image exotique véhiculée dans ces ouvrages n’existe pas dans la réalité et est finalement très étrangère aux Suédois, mais ça « vend » …
C’est drôle, j’ai écrit exactement la même chose que plusieurs formules de votre dernier paragraphe (qu’il ne s’agissait pas d’un mode de vie, tout au plus d’un état d’esprit, et que c’était surtout du maketing) à un ami journaliste français qui m’interrogeait dessus! Merci pour cet article très complet.
Merci de nous lire Clémence ! 🙂
Merci Audrey pour cette belle introduction à l’esprit Lagon, tout en nuances.
Je n’avais pas vu tous ces titres en rapport avec le lagon, ça m’évitera de me faire avoir par les jolies couleurs de leur couverture! Ha! Le marketing est très fort vraiment !
Simone.