Jenůfa de Leoš Janáček, compositeur tchèque le plus novateur du XXème siècle, est un opéra de facture assez traditionnelle en trois actes mais d’une grande efficacité théâtrale. En distillant de petites touches dissonantes pour mieux introduire une tension psychologique, en s’appuyant sur les harmonies des mélodies moraves, Leos Janáček offre une oeuvre d’une grande humanité, pleine d’empathie.
Dans une mise en scène intelligente et sensible, Annilese Miskimmon relocalise le drame de Moravie à l’Irlande de 1918, un pays dans lequel le droit de disposer de son corps est limité pour une femme, et où le poids des traditions enferme les femmes dans un carcan. Cette adaptation dans le décor rural, simple et propre de Nicky Shaw ne trahit nullement Janáček, dramaturge réaliste et humaniste passionné.
L’argument se concentre autour de la relation de Jenůfa, enceinte de son cousin Steva, qui ne veut pas l’épouser et de sa belle-mère Kostelnička qui pour sauver l’honneur de sa belle-fille et le sien, noie le bébé, inimaginable et impardonnable infanticide pour laver la honte et la réputation de la famille. C’est la seule issue possible pour Kostelnička, ravagée par la culpabilité. Alors, qu’enfin résignée, Jenůfa par dépit, s’apprête pour ses noces avec Laca, le cadavre de l’enfant est retrouvé sous la glace. Le titre original de l’oeuvre de Janáček est « Sa belle-fille », car Kostelnička, la belle-mère de Jenůfa détermine les ressorts tragiques de l’action. C’est une illustration parfaite de l’adage suédois « Det som göms i snö, kommer upp i tö ».
La distribution des rôles féminins est magnifique. La Jenůfa de Malin Byström est digne, émouvante toute en nuances et d’un réalisme poignant. La sublime Lena Nordin dans Kostelnička est tourmentée, d’une émotivité brusque et violente. Son interprétation de l’effroyable scène des hallucinations fera date dans les annales de l’opéra. Difficile, face à une telle intensité vocale et à une telle maîtrise musicale, pour les rôles masculins de se faire entendre. Mais le duo de Jenůfa et de Steva, au premier acte, traduit bien l’angoisse de la passion et le duo final du dernier acte entre Laca et Jenůfa exprime tout l’espoir encore indécis du bonheur possible. La mélodie prosodique de la langue tchèque est en symbiose avec la musique et ses thèmes rythmiques inspirés du folklore. Oeuvre résolument moderne dans ses choix harmoniques moraves, Jenůfa est aussi un des seul opéra en prose.
Malgré un infanticide, des trahisons multiples, l’ensemble d’un dramatisme aigu est empreint de beaucoup d’humanité et des sentiments d’amour et de pardon présents durant toute l’oeuvre.
Mon conseil n°1 : Réservez vite (ici), cette coproduction écossaise vaut le détour et l’interprétation des soprani est magnifique.
Mon conseil n°2 : Prenez des mouchoirs, même le coeur de pierre d’un grand dur à cuire ne peut rester insensible à tant d’humanité et de compassion.
Mon conseil n°3 : Si vous êtes sensible, profitez de la pause pour prendre un petit remontant pour avaler l’agression de Jenůfa par Laca et vous préparer avant le second acte.
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