En attendant l’annonce du prix Nobel de littérature de cette année aujourd’hui vers 13 heures, la Suède en Kit se penche sur le monde littéraire suédois et les liens que Suède et France entretiennent au fil de leurs pages et de leurs auteurs respectifs. Petit tour d’horizon des livres à lire ou relire !
Le Prix Nobel, récompense au rayonnement international
S’il est un prix littéraire accordant à un écrivain la reconnaissance ultime, il s’agit bien du Prix Nobel dédié aux lettres. Créé en 1901, il fait figurer la littérature au palmarès des matières récompensées au même titre que la médecine, la chimie ou… la paix ! Il est attribué à un écrivain ayant rendu de grands services à l’humanité grâce à une œuvre littéraire qui, selon son créateur, le chimiste suédois Alfred Nobel, « a fait la preuve d’un puissant idéal ». Chaque prix Nobel de littérature est doté de 11 millions de couronnes suédoises, soit l’équivalent de 946 125 euros. De quoi aider l’idéal en question !
Sur les 119 prix Nobel de littérature attribués depuis sa création (le prix n’a pas été décerné en 1914, 1918, 1935, et entre 1940–1943), 16 Français ont été récompensés :
- 2022 – Annie Ernaux
- 2014 – Patrick Modiano
- 2008 – Jean-Marie Le Clézio
- 2000 – Gao Xingjian
- 1985 – Claude Simon
- 1964 – Jean-Paul Sartre, qui le refuse sans raison particulière (il refusait toute distinction par principe).
- 1960 – Saint-John Perse
- 1957 – Albert Camus
- 1952 – François Mauriac
- 1947 – André Gide
- 1937 – Roger Martin du Gard
- 1927 – Henri Bergson, philosophe plus que romancier
- 1921 – Anatole France
- 1915 – Romain Rolland
- 1904 – Frédéric Mistral
- 1901 – Sully Prudhomme
Seulement 8 Suédois ont reçu cette récompense dont la célèbre Selma Lagerlöf en 1909 (voir notre article du 3 octobre 2023) et plus récemment Tomas Tranströmer, en 2011, un poète… pas véritablement connu du grand public.
Le Prix Nobel 2018 — Grandeur et décadence
Chaque année, enfin presque, l’Académie suédoise, formée de 18 membres, des romanciers, poètes ou critiques… décerne le prix Nobel de littérature. En 2018, suite au mouvement féministe #MeToo, de graves accusations sont portées à l’encontre de Jean-Claude Arnault, photographe d’origine française et époux de l’académicienne Katarina Frostenson, qui depuis a quitté l’Académie. Quant à Arnault, il a été condamné pour viol à deux ans de prison par la justice suédoise le 1er octobre 2018. L’Académie, face à l’ampleur du scandale médiatique, a reporté le Nobel de littérature à l’année suivante. Une Académie parallèle fut alors fondée pour décerner un prix littéraire “alternatif” dont la récipiendaire fut la Guadeloupéenne Maryse Condé.
La littérature scandinave en France
Outre ce temps fort annuel dédié à la littérature, la Suède n’est pas en reste en ce qui concerne les arts littéraires même si les auteurs scandinaves classiques les plus connus en France se comptent sur les doigts d’une main. Citons cependant le dramaturge August Strindberg (Mademoiselle Julie) qui occupe de longue date une place sous les projecteurs des scènes de théâtre françaises, ses pièces étant jouées régulièrement. Viennent ensuite Selma Lagerlöf, femme de lettres à qui l’on doit le récit Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède et Vilhelm Moberg et sa saga des Émigrants. Dans un autre genre, tous les enfants connaissent Astrid Lindgren, figure de proue de la littérature pour la jeunesse avec son inénarrable Pippi Långstrump, chez nous plus connue sous le nom de Fifi Brindacier.
Hors des pistes criminelles
Parmi les écrivains suédois aimés des Français et traduits bien avant l’explosion de la littérature scandinave dans les années 2000, certains ont réussi à passer les frontières, comme les contemporains Per Olov Enquist (Blanche et Marie), mais aussi Torgny Lindgren (Bethsabée), Lars Gustafson (La Mort d’un apiculteur), Carl Henning Wijkmark (La Draisine), Björn Larsson (Long John Silver et Le Capitaine et les rêves), Jan Guillou (La série du Coq Rouge, la trilogie des croisades, La Fabrique de violence) ou encore Theodor Kallifatides (poète et romancier) pour ne mentionner que les écrivains les plus importants.
D’autres écrivains suédois traduits en français pour la première fois après l’an 2000 se sont fait remarquer. Ceux-ci sont moins nombreux et semblent avoir eu moins d’impact que leurs prédécesseurs. Mentionnons Sara Stridsberg (La Faculté des rêves et Darling river), Jonas Hassen Khemiri (Un œil rouge) et Carl Johan Vallgren (Les Aventures fantastiques d’Hercule Barfuss). Certains ont remporté des succès commerciaux comme par exemple Katarina Mazetti avec Le Mec de la tombe d’à côté et Jonas Jonasson avec Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, tous deux ayant figuré sur la liste des meilleures ventes en France.
Le renouveau par le polar scandinave
Mais la littérature suédoise s’est fait connaître en dehors de la Suède grâce à de nombreuses traductions de romans policiers, portée par une publication massive dans les années 2000. En 2011, le Salon du livre de Paris eut pour thème La littérature nordique et a permis à la littérature suédoise d’atteindre un public plus vaste et avide d’histoires à suspens.
Les romans du couple Maj Sjöwall et Per Wahlöö ont été parmi les premiers à s’exporter avec l’inspecteur Martin Beck. Le personnage principal Kurt Wallander de Henning Mankell connaît aussi un grand succès. Åke Edwardson s’inscrit dans cette lignée des polars à la suédoise avec une série d’enquêtes de l’inspecteur Erik Winter. Citons également Klas Östergren, dont le foisonnant Gentlemen paru en 1980 dépeint de manière originale et attachante le Stockholm des années 1980. Camilla Läckberg occupe une place importante dans ce genre littéraire, ayant figuré à plusieurs reprises sur la liste des meilleures ventes en France. Mais le plus gros succès commercial au retentissement littéraire sans précédent revient à l’écrivain Stieg Larsson. La trilogie Millénium est parue en traduction française entre 2005 et 2007 et reste un incontournable du polar noir scandinave.
Le point commun de tous ces romans est de présenter de manière critique, sous couvert d’une enquête policière, la société suédoise, son fameux modèle, les milieux sociaux, les conditions de travail et les relations privées dans lesquels évoluent les personnages principaux. L’engouement pour la Suède fait le reste.
En 2023, citons deux livres suédois et traduits en français qui valent le coup : Stöld de Ann-Helén Laestadius, encore un polar qui nous plonge dans la culture same, vue de l’intérieur (l’écrivaine étant elle-même same), et Les survivants d’Alex Schulman, avec une plongée vertigineuse dans la vie d’une fratrie malmenée par la vie.
Les écrivains français les plus lus
A l’inverse, si l’on se penche sur les écrivains français aimés des Suédois, quels sont les auteurs français qui tirent leur épingle du jeu ? Bien sûr, le fait de décrocher le prix Nobel en littérature permet d’acquérir une certaine visibilité. Le Clézio, Modiano et consors sont des incontournables des rayons “littérature étrangère” des librairies suédoises. Mais outre cette reconnaissance, qu’est ce qui fait que les monstres sacrés tels que Victor Hugo, Honoré de Balzac, Georges Simenon, Simone de Beauvoir, Marcel Proust ou Françoise Sagan, bien connus des amateurs de lettres suédois côtoient Anna Gavalda, Delphine de Vigan ou Marc Lévy ? Il y a un attrait indéniable pour la littérature française aussi bien classique que contemporaine. Chaque année, la Suède reçoit un grand nombre d’écrivains français. Hélène Cixous, David Foenkinos, Leïla Slimani mais aussi les auteurs de BD Riad Sattouf ou cette année Constance Debré ont été invités au Festival littéraire de Stockholm qui a lieu chaque automne. D’autres écrivains comme Tatiana de Rosnay viennent bien volontiers faire leur promo… en anglais, ce qui facilite grandement les échanges ! Cette relation franco-suédoise a donné lieu à plus de 750 traductions littéraires du français vers le suédois en moins de 10 ans. Notons que Clara Dupont Monod, Prix Goncourt des Lycéens 2023 n’est pour l’instant toujours pas traduite en suédois…
La langue française, langue des écrivains ?
Est-ce parce que les écrivains français écrivent de manière plus concentrée, avec moins de mots mais beaucoup plus de choses exprimées entre les lignes ? Est-ce qu’il y a dans la langue quelque chose qui permet à un écrivain français de s’exprimer d’une manière différente ? Toujours est-il que la France ou du moins la langue française a fortement inspiré les écrivains suédois. La reine Christine (1626-1689) correspondait avec Descartes et écrivait beaucoup, en français. Ses Maximes furent en partie rédigées directement en français. Tout comme Strindberg qui a écrit son Inferno dans la langue de Molière. D’ailleurs, pour l’anecdote, ses expressions étaient si radicales que le traducteur les a atténuées dans la version suédoise…
La Suède en toile de fond dans le roman français
Quelquefois, les auteurs français s’inspirent de la Suède pour relater un fait, ou donner un décor, une époque, une couleur à leurs écrits. Les Discours de Suède d’Albert Camus réunissent l’ensemble des discours prononcés par l’écrivain Albert Camus à la suite de l’obtention du prix Nobel de littérature. La gouvernante suédoise de Marie Sizun raconte l’histoire très belle mais sombre d’une famille franco-suédoise à la fin du XIXème siècle. Les anges de Millesgården est le récit des premières impressions d’Alexandre Najjar, écrivain libanais parachuté dans un monde situé aux antipodes du sien.
L’incontournable série (Le Dernier Lapon, Le Détroit du Loup, La Montagne rouge et Les chiens de Pasvik) d’Olivier Truc, très bonne introduction à la culture samie, plonge le lecteur dans un univers sombre au cœur de l’hiver lapon. Sylvain Runberg, scénariste de bande dessinée franco-belge a surfé sur la vague du succès de Stieg Larsson dans la BD Millenium saga, et a écrit sur le monde des “raggare”, ces fous de bagnoles rétro dans Motorcity. Eva de Stockholm, très joli livre illustré de Charline Picard et Isabelle Pellegrini présente la capitale suédoise aux plus petits. Enfin, pour achever notre tour d’horizon, citons Manu Causse, qui dans son roman Oublier mon père a quant à lui planté le décor d’une partie de son récit en Suède, avec l’aide de la Suède en Kit qu’il a sollicité en tant qu’expert !
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