Au coeur de l’hiver, le 13 décembre, la Luciafirande, fête de la lumière et du renouveau, est une des plus belles célébrations suédoises. Plus qu’un simple temps fort dans le calendrier, cette fête emblématique est devenue aujourd’hui source de polémiques en Suède. La Suède en kit vous en explique les raisons.
Aux origines, diableries et Sainte Lucie
La Luciafirande a des origines très lointaines et multiples. Durant l’interminable nuit du 13 décembre (le solstice d’hiver ayant été décalé au 21 décembre en 1753), les anciens craignaient l’intervention des forces obscures qui ravagent tout sur leur passage. Dans ces temps sombres, les esprits étaient invoqués pour faire revenir la lumière. On se tenait éveillé toute la nuit pour ne pas être frappé des forces du mal. L’origine du terme Lusse, que l’on retrouve dans le nom des savoureux petits pains au safran, ne vient pas du prénom de la sainte mais bien de Lucifer, le diable tant redouté. Mais la Luciafirande puise également ses racines dans le christianisme car, le 13 décembre, on célèbre Sainte Lucie, martyre de Syracuse. La ceinture rouge de la Lucia est le symbole de sa fin tragique, en 304.
Première apparition en Suède
Apparue pour la première fois en 1764 dans le Västergötland, Lucia, vêtue de blanc et couronnée de bougies, portait un plateau de café tôt le matin dans la maison. Autrefois, en ce jour de fête familiale, on avait droit à une nourriture plus copieuse et meilleure qu’elle ne l’était le reste de l’hiver. Trois petits déjeuners étaient servis : le premier consistait principalement en une rasade de brännvin alors que les deux autres étaient plus… rassasiants !
La Sainte Lucie actuelle
C’est à partir de 1927 que cette fête est devenue incontournable. Cette année-là, le journal Stockholms Dagblad lançait la toute première festivité publique en organisant l’élection d’une Lucia. La compétition est rapidement devenue populaire auprès des jeunes Suédoises ; c’était très bien vu d’être élue Lucia ! Très vite, la plupart des communes, écoles, lieux de travail, hôpitaux, églises… ont suivi, chaque communauté élisant sa Lucia.
Au fil des ans, Lucia s’est vue entourée d’un grand nombre de compagnons : demoiselles d’honneur (tärnor, vêtues de blanc mais sans couronne), garçons d’honneur (stjärngossar, vêtus de blanc), farfadets (tomtar, en rouge) et autres bonhommes en pain d’épice (pepparkaksgubbar, en brun), tous font désormais partie intégrante du cortège, le luciatåg tel qu’on le connaît aujourd’hui et qui, pour certains, doit répondre à des règles strictes.
Le temps de la remise en question
De nos jours, la célébration de Lucia est toujours très présente. Mais pour beaucoup, elle est devenue le symbole d’une culture suédoise vieillissante, ouvrant à de nombreux débats et de nouvelles facons d’aborder cette fête. Ces dernières années, on a pu voir des garçons devenir des Lucia, au grand dam des puristes. Dans les crèches (dagis), on n’élit plus de Lucia pour éviter de heurter les jeunes enfants ou par peur du harcèlement. Plusieurs bambins peuvent même être désignés le même jour pour ne pas faire de jaloux. Si les Suédois sont prêts à remettre en question une de leurs plus grandes traditions en raison de nouveaux comportements sociétaux, beaucoup souhaitent conserver leur fête telle quelle, en se basant sur leurs souvenirs, sans s’imaginer qu’elle ait pu revêtir des aspects différents dans le passé.
Des stéréotypes à la vie dure
Peu de Suédois savent en effet que certaines des « déviations » aujourd’hui controversées se sont produites dans le passé. Avant le XXème siècle, c’était surtout une fête païenne où l’alcool, et pas que du glögg, coulait à flots. Ce n’est qu’à partir des années 70 que la Sainte Lucie (chrétienne) est célébrée dans les églises suédoises (protestantes) et prend ainsi un caractère sacré. Côté genre, la première trace documentée d’une Lucia dans les années 1820 montre que Lucia était personnifiée par un garçon. Le rôle de Lucia n’était donc pas réservé aux filles.
Dans les années 20, l’élection de la Lucia donnait lieu, de manière à peine déguisée, à un concours de beauté aux critères terriblement racistes et sexistes. Aujourd’hui, il est de moins en moins question que la Lucia ait obligatoirement de longs cheveux blonds, comme autrefois. Pourtant, le débat est toujours virulent. Nombreux sont ceux qui ne veulent pas toucher à un cheveu (blond) de la Lucia. En 2012, la retransmission par SVT du concert de Lucia depuis la cathédrale d’Uppsala lance la controverse. Cette année-là, Lucia est une belle jeune fille de 14 ans, elle s’appelle Astrid Cederlöf est sa peau et ses cheveux sont noirs de jais.
Quatre ans plus tard, la campagne publicitaire des magasins Åhléns met en scène un petit garçon de couleur dans le rôle de Lucia. Cette publicité a soulevé beaucoup de commentaires racistes et elle a été retirée à la demande de la famille… Dans les deux cas, un grand nombre de Suédois ont pris la défense de ces Lucia devenues des icônes malgré elles.
Une tradition en constante évolution
Les jeunes candidats à l’élection de la Lucia se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main et de moins en moins de communes organisent ce vote. La dernière Lucia “officielle” de Stockholm a été élue en 2012. Ce désintérêt est le signe de l’évolution de la société suédoise. La Luciafirande en suit les nouvelles règles. Ce qui est reproché à cette fête, c’est surtout son manque de modernité et le fait de véhiculer des idées contre lesquelles les Suédois se mobilisent le reste de l’année ! Racisme, sexisme, aspect religieux, ces questions sont donc au cœur de la Luciafirande et de son cortège. Le changement est en route. La Luciafirande se questionne et se renouvelle et c’est à ce prix que la tradition reste vivante.
Fêter la Sainte Lucie à Stockholm
Au bureau, à l’école, à la bibliothèque ou encore simplement dans le café d’à côté, il y aura forcément une procession, un concert, ou simplement un fika spécial Lucia. La fête de Lucia est intrinsèquement liée à la musique, aussi vous pourrez assister à de nombreux concerts. Dans les rues de Gamla Stan, il n’est pas rare de rencontrer de petites chorales au coin d’une ruelle, sous un porche à l’abri du vent. Baladez vous sur l’île, profitez du marché de Noël sur Stortorget, et suivez le calendrier de l’avent vivant sur Gamla Stan pour une journée très suédoise.
En version musicale
Si vous souhaitez assister à un vrai concert, réservez au plus vite, les places sont vite prises ! Voici notre sélection (pour 2018) :
Stockholm Waterfront : auparavant au Globen, le chœur de l’école de musique Adolf Fredrik compte environ 1 200 choristes. Un must ! Le 9 décembre, 2 concerts.
Skansen : au cœur du musée en plein air, traditions, processions, concerts, histoires et contes, le 13, 15 et 16 décembre.
Nordiska Museet : dans un autre musée, à l’intérieur, chœur, violoncelle, danse de salon et danse classique le 8 décembre à 15h.
Storkyrkan : dans le beau décor de la cathédrale, chœurs d’enfants et de jeunes sous la direction d’Hélène Stureborg, le 8, 9, 11, 12 et 13 décembre. Accepte les enfants à certaines heures. Également en l’église de St Jakob selon la date.
Berwaldhallen : dans la salle de concert de la radio suédoise, chœur de l’école de musique de Nacka, accompagné des chanteurs d’opéra Hillevi Martinpelto och Carl Ackerfeldt le 8 et 9 décembre.
Eric Eriksonhallen : concert de Noël avec le chœur a cappella Stockholm City Voices, le 13 et 14 décembre.
Eglises : l’église proche de chez vous propose certainement un concert avec une procession.
En version sportive
Sur la patinoire, à cheval, sur le terrain de basket, de foot ou d’athlétisme, les associations sportives organisent également leur Luciatåg. Renseignez-vous auprès des clubs sportifs.
La plus étonnante est certainement celle du club de natation synchronisée Neptun ! À la piscine de Västertorp, Lucia est fêtée les pieds dans l’eau par le club de natation synchronisée, le 13 décembre, 2 sessions (attention le lieu est petit, il faut arriver tôt !)
Pour les vrais, les purs, les durs, inscrivez-vous à la première Lucia Swimrun organisée à Knivsta au nord de Stockholm. Le plus beau déguisement gagnera un prix après avoir couru quelques kilomètres et nagé 100 mètres, si le lac n’est pas gelé ! Bon courage !
Et si vous êtes enfermé chez vous pour cause de rhume ou de flemme aiguë, consolez-vous, vous pourrez suivre le Luciamorgon à la télé sur SVT.
(Re-)lisez notre autre article sur Lucia.
Très intéressant. Merci.
Merci de nous lire Robert !