Depuis sa création en 1955, le Systembolaget a eu la mission paradoxale de vendre de l’alcool et d’éviter l’alcoolisme parmi les sujets du royaume et ce, en abandonnant, motboken, le carnet de rationnement en vigueur, réservé aux hommes. En 1955, l’année du premier avion-charter pour Mallorca, les Suédois et Suédoises de plus de 21 ans peuvent enfin acheter de l’alcool librement au Systemet (de son petit nom), la bière alcoolisée est en rupture de stock dès la semaine d’ouverture et le vin commence à devenir à la mode…
Systembolaget dans les années 1980
Lorsque je suis arrivée en Suède en 1984, les points de vente du Systembolaget, peu nombreux, et aux horaires d’ouverture limités, sont encore perçus comme des lieux de perdition. Se rendre au System le vendredi après-midi garantit une sorte d’anonymat tant la file d’attente est longue, y aller en semaine ruine votre réputation de buveur occasionnel. Elevée en Bourgogne, aux douces sonorités lexicales (puisque j’étais enfant !) des Puligny-Montrachet, Chambolle- Mussigny ou Gevrey- Chambertin, ma première visite au Systemet, fût un choc. En fait, deux chocs, le culturel et le financier. Parador, Vino Tinto et un obscur côteau du Languedoc, trois vins mis en bouteille en Suède coûtent alors une journée de salaire. On raconte que dans les campagnes suédoises, les bouilleurs de crus illégaux expérimentent alambics et cornues et distillent du hembränt, un tord-boyaux de contrebande vendu sous le manteau comme un succédané de vodka.
Faire son propre vin
Alors, je m’improvise « pseudo-viticultrice, oenologue » en toute légalité jusqu’à la fin des années 90. Partout, chez Ica ou dans des magasins spécialisés, on peut se procurer le kit nécessaire à l’auto-production d’un breuvage blanc ou rouge, qui rappelle la piquette améliorée, titrant 10 ou 11 degrés. Il suffit d’avoir une dame-jeanne, du jus de raisin non pasteurisé, de la levure et roule-bouboule pour la fermentation, le filtrage et la mise en bouteille. Mon foie semble avoir survécu.
L’ouverture à l’Europe
L’entrée de la Suède, en 1995, dans l’Union Européenne ouvre une grande porte d’espoir, on va enfin trouver du vin dans la grande distribution. Après deux ans de résistance, il n’en sera rien, Systemet garde son monopole de la distribution. Mais en 2002, suite à une affaire de pots de vins (c’est le cas de le dire), le marché s’ouvre à l’importation et le prix de la bouteille baisse. Je goûte des rouges et des blancs d’ailleurs. De nos jours, les viticulteurs, les caves coopératives de France et de Navarre accueillent Systembolaget à bras ouverts. C’est le plus gros acheteur européen qui vend des vins du monde entier et a boosté la production de vins bios et naturels en dictant le cahier des charges, émanant des consommateurs suédois.
Après 40 ans en Suède, j’adore Systembolaget, son énorme choix de vins, de bières, cidres et spiritueux, son personnel compétent et son service après-vente. Votre vin est bouchonné, rapportez le, il vous sera remboursé ! L’entreprise d’état est florissante, 450 magasins, 482 points de vente, 6000 employés et 900 différents fournisseurs. Et puis aussi le fait que depuis le rachat de Vin och Sprit, l’ancien fleuron des entreprises nationales suédoises par le géant Pernod-Ricard, Systembolaget est un peu français !
Merci pour cette belle perspective historique et hépatique)