Entrée en vigueur le 1er mars 2022, la loi sur la procédure de consultation du peuple sami (konsultationsordning) a été promulguée le 27 janvier 2022 par le parlement suédois (riksdag). À partir du 1er mars 2024, elle s’étendra aux régions et aux communes. Cette loi inscrit dans la législation suédoise la possibilité pour les Sames d’influencer les prises de décision sur les questions les concernant. Un premier pas qui amorce une reconnaissance du peuple sami dans les questions gouvernementales.
Les faits
Dès le XVIIe siècle, le peuple autochtone de Suède a été confronté à une forte politique de discrimination. Le gouvernement suédois a appliqué ses idées colonialistes envers les Sames jusqu’au XXe siècle, dans une approche fortement eugéniste, appuyée par la création de l’institut de biologie raciale à Uppsala en 1922. Au cours de ces décennies, les Sames ont perdu à peu près tous leurs droits. Après guerre, les mentalités ont eu du mal à évoluer et aujourd’hui encore la question samie reste vive. Ce côté sombre de l’histoire suédoise, longtemps passé sous silence, est réapparu dans les années 90, alors que le peuple sami se faisait de plus en plus revendicatif et que des enquêtes journalistiques, des documentaires et des films éloquents mettaient le sujet en lumière.
Forte critique à l’international
Au cours des 50 dernières années, à plusieurs reprises, les organismes internationaux des Nations Unies, notamment le Comité pour l’Élimination de la Discrimination Raciale (CERD) et l’Examen Périodique Universel (EPU), ont reproché à la Suède le manque d’opportunités qu’elle accordait au peuple sami en termes d’influence politique dans les prises de décision les concernant et l’absence du principe fondamental de consentement préalable libre et éclairé entre l’État et la minorité ethnique samie. Pas plus tard qu’en décembre 2020, le CERD appelait encore une fois la Suède à modifier sa législation dans ce domaine. À ce titre, la Suède ne ressemble pas à ses voisins finlandais ou norvégien qui ont déjà adopté le système de consultation.
Les manquements de l’État suédois face aux droits des Sames
L’introduction d’une procédure de consultation dans le pouvoir législatif suédois est une mesure visant à se conformer davantage aux normes du droit international, bien que ces recommandations ne soient pas obligatoires. Elle se base sur la reconnaissance des Sames en tant que peuple autochtone et son droit à l’autodétermination. Une amélioration notable mais la Suède n’est pas très bonne élève sur la question samie. Contrairement à la Norvège, elle n’a toujours pas ratifié la Convention ILO 169 relative aux peuples indigènes et tribaux, qui met l’accent sur les droits des peuples autochtones, notamment en termes de participation lors des prises de décisions et en ce qui concerne leur autodétermination.
(NB : La France n’a pas non plus ratifié cette convention qu’elle considère contraire à sa constitution, car allant à l’encontre du principe d’égalité des individus).
L’enjeu d’une procédure de consultation
La procédure de consultation traduit donc pour les autorités la volonté de mieux appréhender et traiter les questions affectant les Sames ainsi que d’initier un dialogue clair avec des méthodes plus structurées. Elle favorise la participation des Sames dans les questions qui les concernent directement : l’élevage de rennes et toute autre industrie samie, l’environnement et le climat, l’utilisation des terres, mais aussi la santé, la langue, l’éducation et la culture et à terme, elle pourrait apporter un nouvel éclairage sur l’impact de ces décisions sur le peuple sami.
En ce sens, la loi est une étape importante pour garantir le droit du peuple sami à participer au processus décisionnel du pays et à faire entendre sa voix. La procédure de consultation ne signifie pas que le peuple sami obtient de nouveaux droits, mais comme le dit le président du conseil d’administration du sameting (Parlement sami suédois), Håkan Jonsson, le peuple sami a maintenant atteint le point où le droit d’influencer les questions qui le concernent est formalisé dans la législation suédoise. Il considère cette décision parlementaire comme un premier pas important dans le paysage politique suédois.
À qui s’adresse cette procédure de consultation ?
Le gouvernement et les autorités administratives de l’État sont tenus de consulter les représentants du peuple sami avant de prendre des décisions impliquant les Sames. Cette procédure s’adresse donc au gouvernement, décisif dans plusieurs domaines conformément à la législation sur l’élevage des rennes, tant en première instance qu’en appel. Les autorités administratives de l’État également concernées sont aussi nombreuses que variées, comme par exemple : Skogsstyrelsen (Direction suédoise des forêts), Energimarknadsinspektionen (Inspection suédoise du marché de l’énergie), Trafikverket (Administration suédoise des transports), Jordbruksverket (Direction suédoise de l’agriculture), Boverket (Administration nationale du logement, de la construction et de l’aménagement du territoire) ou encore Statens kulturråd (Conseil suédois de la culture).
Représentation des Sames lors d’une procédure de consultation
C’est l’Assemblée samie de Suède, le sameting, qui représente les intérêts samis lors de cette procédure. Sur son site, le sameting a d’ailleurs publié une checklist à suivre lors de l’établissement d’une telle demande. Celle-ci doit stipuler entre autres l’objet et le destinataire de la procédure, inclure les documents pertinents pour évaluer la question, donner une estimation du temps imparti à la consultation dans un délai raisonnable. Si cette demande concerne une commune samie en particulier (sameby), celle-ci peut-être consultée. L’obligation de consultation s’applique également aux organisations samies lorsqu’un cas revêt une importance particulière pour telle ou telle organisation, eu égard à son objet selon ses statuts. Il peut s’avérer pertinent de consulter à la fois les associations samies au niveau national et local.
Un bon début mais…
Cette avancée est primordiale mais rappelons que la Suède s’est fait tirer les oreilles un bon nombre de fois pour ses manquements concernant la reconnaissance des Sames. On ne peut d’ailleurs pas dire que cela représente l’unanimité : la décision du Riksdag a été votée avec 139 “oui” et 109 “non”. Les Moderaterna, les Sverigedemokraterna et les Kristdemokraterna ont préféré s’abstenir. De son côté, la Svenska Samernas Riksförbund (SSR), la fédération suédoise des Sames, organisation indépendante représentant les communes (samebyar) et les associations samies de Suède se montre dubitative. Elle estime que les droits des samebyar vont plus loin que ne l’indique la procédure de consultation. Enfin, dans la lignée du rôle du sameting, organe uniquement consultatif, cette loi ne donne aucune obligation d’obtenir un consentement ou un accord entre les parties. Le processus doit être mené “avec honnêteté, sincérité et dans un bon esprit”. Les consultations se poursuivent jusqu’à ce que les parties soient d’accord ou jusqu’à ce que l’une des parties déclare qu’il n’est pas possible de s’entendre.
Conséquences d’une telle législation
Pour Håkan Jonsson, cette procédure devrait permettre en plus d’une gestion plus juste des questions samies une meilleure compréhension des conditions de vie et de l’héritage culturel des Sames. Elle permet de donner la parole aux organismes samis et d’avoir recours à leurs connaissances. Ce processus devrait aboutir à des prises de décision prenant davantage en compte les intérêts samis, de mettre en valeur les différents acteurs samis et ainsi d’éviter les conflits. Le sameting est convaincu que grâce à cette loi, un ensemble de connaissances et d’informations va peu à peu se constituer, ce qui facilitera un traitement uniforme des dossiers. L’expérience de la Norvège en la matière montre que le niveau de connaissance des conditions de vie et de la culture des Sames augmente et que cette ouverture d’esprit se traduit par des économies de temps et d’argent pour l’État.
Cette loi est révélatrice de l’intention du gouvernement suédois d’œuvrer en politique en tenant compte de l’existence et de la réalité du peuple autochtone sami. « C’est une étape très importante dans le renforcement des droits des Sames à l’autodétermination », a déclaré la ministre de la Culture, Jeanette Gustafsdotter.
L’envie d’avancer ensemble vers l’avenir est peut-être contenue dans cette première loi.
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