Pour faire suite à notre série d’articles sur la Covid-19, la Suède en kit met un coup de projecteur sur le Centre européen de prévention et de contrôles des maladies (ECDC, European Centre for Disease Prevention and Control), l’agence de santé publique “anti maladies infectieuses” de la Communauté Européenne basée – devinez où ? – à Stockholm.
Concrètement, que fait l’ECDC ? Comment travaille-t-elle ? Que change la pandémie pour elle ? Que préconise-t-elle ? Que penser des mesures sanitaires, du vaccin ? Quelle est son influence sur le gouvernement suédois ? Zoom sur cet organisme de santé publique aujourd’hui encore méconnu.
Rôle et missions de l’ECDC
L’ECDC est une agence de l’Union Européenne dépendant de la Commission Europénne. Elle a été créée en 2005 et compte aujourd’hui environ 300 employés. Sa mission vise à renforcer les défenses de l’Europe contre les maladies dites infectieuses. Ses fonctions couvrent un large spectre d’activités : surveillance, veille épidémique, élaboration des ripostes possibles, aide aux gouvernements à se préparer et à se former en santé publique, développement des relations internationales même hors de la Communauté Européenne, divulgation d’avis scientifique et d’information sanitaire grâce à une communication claire. Cette agence tire son expertise et ses connaissances de ses propres experts, des réseaux paneuropéens sur les maladies et des organismes nationaux de santé publique.
À qui s’adresse l’ECDC ?
La vocation de l’ECDC n’est pas d’informer le grand public. Rien d’étonnant donc que vous n’en ayez pas véritablement entendu parler. Cependant, les gouvernements et les médias nationaux s’appuient actuellement largement sur les données de l’agence.
L’ECDC a pour principaux bénéficiaires les organismes nationaux et infranationaux de santé publique dans l’Union Européenne et l’Espace Economique Européen, les institutions de l’UE et les responsables politiques en Europe, mais aussi les professionnels de la santé publique, chercheurs, organisations internationales et autorités nationales hors de l’Europe.
En Suède, le Premier Ministre Stefan Löfven est en contact avec l’ECDC même si le gouvernement ne semble pas toujours enclin à suivre les recommandations de l’agence, comme par exemple pour le port du masque.
Quelles sont les maladies infectieuses que l’ECDC surveille ?
L’ECDC fournit des données de surveillance et des avis scientifiques sur les 52 maladies et affections transmissibles à déclaration obligatoire, les épidémies et les menaces pour la santé publique. Les programmes de lutte de l’ECDC couvrent les pathologies d’origine infectieuse telles que :
- les résistances aux antimicrobiens et les infections nosocomiales,
- les maladies émergentes et à transmission vectorielle,
- les maladies d’origine alimentaire et hydrique,
- les zoonoses,
- le Sida ainsi que les infections sexuellement transmissibles et l’hépatite virale,
- la grippe et autres virus respiratoires,
- la tuberculose et les maladies évitables par la vaccination.
Une maladie infectieuse de plus, le SRAS-CoV-2
Le SRAS-CoV-2, à l’origine de la Covid-19 entre bien évidemment dans le champ des compétences de l’ECDC. Les États membres et leurs gouvernements bénéficient de l’expertise des équipes de l’agence et des épidémiologistes travaillant d’arrache-pied sur l’étude du virus et de son évolution. Conformément à sa mission sur d’autres épidémies, la mission de l’ECDC est donc de rassembler les données, de faire un état des lieux et d’analyser les tendances. Grâce à ces données, l’agence peut élaborer des conseils techniques pour que les États répondent au mieux à la crise sanitaire et qu’ils puissent, à terme, éradiquer la pandémie.
Concrètement, comment travaille l’ECDC ?
L’ECDC surveille l’évolution de l’épidémie grâce à la collecte de renseignements et d’informations complètes sur les cas détectés, le nombre de cas de Covid-19 déclarés et le nombre de décès dans les pays de l’UE/EEE et dans le monde, conjointement avec l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). La Commission Européenne, qui a financé un certain nombre de projets (pour un total de 45 millions d’euros) en réponse à l’épidémie de COVID-19, assure la coordination des activités de gestion des risques au niveau de l’UE, et l’ECDC y collabore avec des projets pertinents dans le but d’assurer la cohérence et les synergies entre États.
Où trouver l’information ?
De nombreuses publications sont le fruit du travail de l’ECDC. En ce qui concerne spécifiquement la Covid-19, l’agence publie ses données sur son site web, dont une multitude sont disponibles en accès libre. Vous y trouverez :
- Le tableau de bord COVID-19 où sont présentés les rapports de situation comprenant des courbes épidémiologiques, des cartes et des tableaux de données, publiés quotidiennement et mis à jour en permanence, y compris le week-end.
- Jusqu’ici quotidiennes, les mises à jour sur le nombre de cas et de décès signalés dans le monde et agrégés seront publiées une fois par semaine, chaque jeudi, à partir du 14 décembre.
- Le bulletin hebdomadaire sur les évaluations de risques destiné aux épidémiologistes et aux professionnels de la santé, ainsi que des documents techniques et des orientations pour aider les États membres de l’UE et la Commission de l’UE dans leurs activités de réponse, accessible également via l’application « ECDC Threat Reports ».
- Les publications sur les projections et les tendances, dont la dernière date du 23 novembre 2020. Ces projections à long terme sont valables jusqu’au 25 décembre 2020. Les données utilisées pour ce rapport sont basées sur les informations collectées au 10 novembre 2020.
La publication « Eurosurveillance » est un journal hebdomadaire en ligne et en accès libre dont l’ECDC est l’éditeur. Cette revue scientifique européenne « peer to peer » sur la surveillance, l’épidémiologie, la prévention et le contrôle des maladies infectieuses se concentre sur des sujets d’intérêt européen.
Que faire face à la pandémie ?
Selon l’ECDC, en l’absence d’un vaccin efficace et sûr pour protéger les personnes à risque de Covid-19 sévère, les mesures de santé publique – dans le jargon de l’agence : les interventions non thérapeutiques – visent à prévenir et/ou contrôler la transmission du SRAS-CoV-2 dans la communauté. Ce sont les règles les plus efficaces de lutte contre le virus.
Il existe trois grandes catégories de mesures :
- individuelles : comme l’hygiène des mains, l’hygiène respiratoire et l’utilisation de masques faciaux,
- environnementales, comme le nettoyage et la ventilation des espaces intérieurs : celles-ci peuvent être liées à la population, comme la promotion de l’éloignement physique et la limitation et la restriction des mouvements et du rassemblement de personnes,
- relatives à la population : les tests généralisés et la recherche des contacts, mesures fondamentales de la riposte à tous les stades de l’épidémie.
Dans la plupart des situations, un certain nombre de ces mesures doivent être mises en œuvre simultanément pour en maximiser l’efficacité.
Les risques liés à la mise en place (ou non) des mesures de santé publique
La levée trop précoce ou trop rapide des mesures de maintien au domicile et de distance physique à grande échelle comporte le risque d’un retour rapide à des taux d’infection élevés, ce qui pourrait submerger les systèmes de santé tout en provoquant des niveaux élevés de maladie et de nombreux décès. Le Läkartidningen (Journal du médecin) et le Dagens Nyheter relayaient par exemple le 8 décembre 2020 l’information selon laquelle à Stockholm, 99 % des 160 unités de soins intensifs de la région de Stockholm étaient occupées.
D’autres mesures telles que les fermetures d’écoles et d’entreprises et les restrictions de voyage visent à réduire la transmission et la propagation du virus, mais ont de graves conséquences personnelles, sociales et économiques. Ces conséquences doivent être anticipées. Dans ce but, tout plan important de mise en œuvre de mesures de santé publique doit être accompagné d’une solide stratégie de communication pour être le plus efficace possible afin d’être compris, intégré et suivi par la majorité.
Quid d’un vaccin ?
D’après l’ECDC, à l’heure actuelle, il y a un manque de certitude et de connaissances sur les caractéristiques des vaccins Covid-19 ainsi que des lacunes persistantes dans les connaissances scientifiques sur le virus et la maladie. Les plans et stratégies de vaccination devront donc être adaptés à mesure que davantage d’informations seront disponibles, ce qui peut évoluer très vite, comme le montre l’approbation d’un premier vaccin par l’Union européenne au plus tard le 29 décembre.
Dans un rapport daté du 2 décembre 2020 et non exhaustif — la plupart des pays étant actuellement dans la phase d’élaboration de leurs plans nationaux de vaccination — un aperçu des stratégies contre le COVID-19 est donné, basé sur les résultats de deux enquêtes menées sur octobre 2020 et novembre 2020. Ces informations sont amenées à évoluer dans les semaines et les mois à venir. Les points principaux sont les suivants :
- La définition des groupes prioritaires pour la vaccination : au 30 novembre 2020, neuf pays avaient déjà publié des recommandations provisoires pour les groupes prioritaires (Autriche, Belgique, République tchèque, France, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne, Suède et Royaume-Uni). La priorité est donnée aux personnes âgées, avec différents seuils d’âge inférieurs dans les pays, aux agents de santé et aux personnes souffrant de certaines comorbidités.
- Le déploiement du futur vaccin : de nombreux pays utiliseront autant que possible les structures de vaccination et les services de livraison existants. La plupart des pays ont indiqué que les vaccins Covid-19 seraient fournis gratuitement à leurs citoyens.
- La surveillance de la vaccination : les systèmes de surveillance de la couverture vaccinale, de la sécurité, de l’efficacité et de l’acceptation sont existants ou en cours d’élaboration , tels que des registres électroniques de suivi de vaccination. Pour l’ECDC, la documentation indiquant quel produit vaccinal a été administré et quand est la clé du succès des programmes de vaccination.
Peut-on espérer un retour à la normale ?
La feuille de route européenne commune vers la levée des mesures d’endiguement de la COVID-19 (datant du 15 avril 2020) aborde cette question en fournissant le cadre d’un plan de relance économique et sociale pour l’UE, parallèlement à un ensemble de principes de santé publique visant à minimiser le risque de résurgence du nombre de cas. En cas de résurgence, les mesures de maintien au domicile et de distance physique devront peut-être être remises en place. Il semble que les dernières lignes directives du gouvernement suédois via Folkhälsomyndigheten (l’autorité de santé suédoise) applicables dès le 14 décembre, juste avant les fêtes de Noël s’inspirent de cette conception.
L’ECDC précise qu’il est de plus en plus reconnu que nous vivrons avec la Covid-19 pendant de nombreux mois, voire des années à venir. Cette maladie continuera d’affecter nos vies pendant un certain temps, et nous devons tous nous y préparer mentalement.
Limites et contraintes de la mission de l’ECDC
Il n’y a pas d’homogénéisation dans la mise en place et le niveau d’intensité de la mise en œuvre des politiques de santé publique entre les pays et même au sein d’un pays, entre les régions. Il est par conséquent difficile d’analyser l’efficacité de chaque mesure individuellement. L’évaluation de leur efficacité est basée sur des méthodes statistiques et des études de modélisation épidémiologique, ainsi que sur des preuves provenant de la grippe et d’autres virus respiratoires. D’autre part, des inexactitudes peuvent survenir en raison de la façon dont les données sont collectées, ou traitées, car elles ne sont pas harmonisées. Elles peuvent être floues, erronées, pas nécessairement communiquées dans leur intégralité par les États et peuvent donc donner lieu à une interprétation plurielle. Il faut ajouter que la disponibilité des données publiques provenant de sources gouvernementales officielles varie selon les pays. Si l’ECDC est force de proposition, elle n’a pas force de loi. Il n’y a donc aucune obligation pour un État membre à se conformer aux recommandations données par l’agence. Son pouvoir s’en trouve donc fortement limité, aussi bien dans la collecte de données que dans l’application des mesures de réponse face à l’épidémie.
Et lorsque l’on pose la question de savoir ce qu’il en est de l’attitude suédoise ou française face à la crise de la Covid-19, l’ECDC ne répond pas car cela « ne relève pas de ses attributions ». De même, nous n’avons pu interviewer un ou plusieurs employés de l’ECDC, ceux-ci ne s’exprimant pas individuellement pour éviter de diffuser des informations incomplètes, erronées, ou subjectives et non conformes à la mission de l’agence. Notre article se base donc sur les informations communiquées par le service de presse et les données collectées sur le site internet de l’ECDC.
Pour plus de détails sur les questions relatives aux mesures de prévention et la position de l’Europe, allez faire un tour sur le site de l’ECDC, Questions et réponses sur la prévention.
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