Scandales au Royaume de Suède – la politique de stérilisation, une question dérangeante

En 1997, un scandale éclate au grand jour au royaume de Suède : entre 1935 et 1976, le gouvernement s’est doté de lois autorisant la stérilisation pour maîtriser la reproduction de certains groupes de la population. Durant 40 ans, une personne pouvait être stérilisée, et ce, même sans son consentement, pour des raisons bien spécifiques. Quels étaient les critères et le contexte ayant permis une telle pratique ? La Suède en kit s’est penchée sur cette question.

Rappel historique

Dans un contexte où la classification des individus selon des considérations raciales, sociales ou médicales était une idéologie assez répandue, la Suède n’était pas en reste. En 1922, elle s’est dotée d’un institut de biologie raciale pour mener des recherches sur la génétique humaine et conseiller les autorités afin d’établir la « meilleure société possible ».

Au Gouvernement, la question de la stérilisation avait été évoquée dès les années 20.

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Le plan eugénique, 1935-1976

En 1922, une loi concernant les malades mentaux et les violeurs est proposée sans qu’il soit fait mention de stérilisation forcée. En 1927, une commission parlementaire est créée sur la question de la stérilisation. Son rapport de 1929 fait mention d’une stérilisation volontaire fondée sur des considérations d’ordre génétique. La question de la stérilisation est reprise en 1933 et cette fois, il n’est plus question de stérilisation volontaire. Les lois qui seront adoptées dans les années suivantes permettront la mise en place d’un plan eugénique.

Les lois de 1934 et 1941

Deux lois sont édictées. La loi de 1934 s’applique en cas d’incapacité d’élever des enfants et lorsqu’il y a risque de transmettre « une maladie mentale, une faiblesse d’esprit ou d’autres tares d’ordre mental ». À cette époque, le principe de « l’hygiène raciale » constitue la principale justification des opérations pratiquées.

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Les demandes sont adressées au Conseil national de santé. Lorsque le patient est déclaré irresponsable ou incapable de donner son consentement, la stérilisation est possible sans celui-ci. Si l’opération concerne un malade mental, deux médecins peuvent prendre la décision sans consulter le Conseil de santé. Cependant, nulle part la loi ne définit la déficience mentale… Bien sûr, des abus ont lieu : une myopie, un illettrisme ou encore un caractère revêche ou considéré inapproprié peuvent faire partie des critères de décision.

La seconde loi sur la stérilisation voit le jour en 1941. Elle étend le champ d’application de la loi à d’autres maladies héréditaires, également aux personnes physiquement handicapées (« maladie ou défaut grave ») ainsi qu’à des cas « de comportement antisocial ».

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Une société modèle

Les lois de 1934 et 1941 sont votées dans un consensus général de l’ensemble des partis politiques, à l’exception des communistes et de l’Église luthérienne. Elles visent à éliminer de la population suédoise les « déviants », dont le comportement s’écarte de la norme sociale admise, les « personnes inférieures », les « mères seules avec enfants », les « tziganes » et les « gens de race mixte ».  Elles contribuent à établir dans le pays une population en meilleure santé. Les autorités suédoises ont pour ambition de créer une société que le monde entier leur envierait.

La santé publique selon la social-démocratie

La construction de l’État-providence aide à l’assimilation dans les lois de ces principes eugéniques. En effet, si les motivations premières veulent améliorer l’espèce humaine en Suède, les raisons principales de cette pratique deviennent peu à peu d’ordre économique : une race suédoise plus pure et plus saine aide à réduire les coûts de la politique de réforme sociale et des outils de promotion liés au bien-être des individus.

L’État-providence social-démocrate s’octroie le droit d’intervenir, au nom de la défense des droits supérieurs de la collectivité, dans le but de servir le bien-être de l’ensemble de la société. Il s’agit véritablement pour le gouvernement de l’époque d’une mesure de santé publique.

Les victimes des lois de stérilisation

Trois mille personnes sont stérilisées dans le cadre de la première loi de 1934. Mais la plupart des stérilisations sont effectuées dans le cadre de la seconde loi qui, de plus, entraîne une augmentation considérable des stérilisations forcées. Ensuite, les stérilisations sont menées au cours des dix premières années qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, après quoi leur nombre a diminué. Le maximum fut atteint en 1949 avec 2 351 stérilisations. Au total, de 1935 à 1975, on estime qu’il y a eu en Suède près de 63.000 stérilisations sur une population totale de plus de six millions d’habitants. Une enquête menée par deux journalistes de l’agence de presse nationale TT (Tidningarnas Telegrambyrå) fait état de 13 000 Suédois, environ 9 000 femmes et 4 000 hommes, victimes de stérilisation forcée.

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La typologie des victimes

Les victimes, jeunes, sont principalement des femmes jugées faibles d’esprit, rebelles ou métisses. La stérilisation s’apparente pour beaucoup de cas à une sorte de contraception déguisée, puisqu’à l’époque, rien d’autre n’est proposé et que la stérilisation était une condition pour la pratique d’un avortement.

En ce qui concerne les motifs raciaux, ils ne sont pas évidents dans la mesure où seules 5 % des personnes stérilisées étaient non suédoises ou de race mixte. Néanmoins, les lois reposent sur des théories racistes dans la mesure où les responsables du programme et les médecins en charge des stérilisations croient fortement en une connexion entre la race et l’intégrité génétique des individus.

Dans les dernières décennies, les personnes atteintes de troubles mentaux représentent la plus grande partie des victimes.

Dans tous les cas, les stérilisations ont été faites sur des personnes qui n’avaient pas, pour certaines, les capacités intellectuelles ; pour d’autres, les moyens ; et pour d’autres encore, d’autre choix.

L’évolution de la loi après 1976

La législation sur la stérilisation reste en vigueur jusqu’en 1976. Elle est révisée alors que les valeurs de la société ont évolué. Une nouvelle loi est votée, autorisant une stérilisation libre et volontaire, en complément d’autres lois sur l’avortement et le contrôle des naissances. Celle-ci rend obligatoire l’accord des intéressés.

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L’indemnisation après le scandale

Lorsque le scandale éclate en 1997, le gouvernement suédois a offert une compensation financière aux victimes de stérilisation forcée, qui s’élevait pour chaque victime à 175 000 couronnes suédoises. Au total, 3 000 compensations ont été accordées, ce qui est très peu par rapport au nombre de personnes soupçonnées d’avoir été stérilisées de force dans le pays. Peut-être parce que certaines des victimes ne sont plus en vie, ou parce que ce secret reste un traumatisme honteux qui les empêche d’adresser ouvertement une demande d’indemnisation.

Une question d’actualité jusque dans les années 2000

La loi sur l’affiliation de genre, qui précise les circonstances dans lesquelles les personnes transgenres et intersexuées peuvent changer d’affiliation légale de genre a été introduite en 1972 en Suède. Dans cette loi, il est stipulé que la personne concernée doit être stérile. Aucune raison médicale n’est invoquée mais on peut penser que cela vise à empêcher ce groupe de personnes de devenir des parents biologiques. La loi fait l’objet d’un grand débat et la Cour d’appel de Stockholm a estimé dans un arrêt de 2012 que l’exigence de stérilisation était en conflit avec la Convention européenne des droits de l’homme et la Constitution. Peu de temps après, le Parlement suédois a abrogé l’exigence de stérilisation.

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L’évolution des mentalités

Le point de rupture dans le débat sur la stérilisation se situe dans les années 1950. Que le changement soit survenu à ce moment-là n’est pas surprenant. C’était une époque d’intérêt croissant pour les droits de l’homme, La renaissance des droits naturels. La société changeait de point de vue sur l’individu. On est passé de la primauté de la société en tant que telle à celle des droits individuels. Cela a marqué le début de la fin du plan eugénique.

La Suède a été le premier pays d’Europe à abolir la stérilisation forcée. Cette méthode est considérée comme un crime contre l’humanité selon le traité de Rome de la Cour pénale internationale.

En 1958, l’institut de biologie raciale a été remplacé par l’Institut d’État pour la génétique humaine (Institution för medicinsk genetik) et constitue aujourd’hui un département de l’université d’Uppsala.

A propos Anne D 34 Articles
Basée à Stockholm depuis 2008, Anne aime observer ce qui l'entoure, expérimenter (même après toutes ces années !) l'exotisme des supermarchés et évoquer les décalages de la vie suédoise prêtant à sourire ou à réfléchir.

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