Le snus, c’est une spécialité toute suédoise : un petit sachet de tabac que l’on glisse sous la lèvre supérieure et qui délivre sa – plus ou moins importante – dose de nicotine. L’idée reçue et tenace voudrait que ce produit de consommation soit moins nocif que fumer. Mais l’univers du snus, tout comme celui de la cigarette, est un univers impitoyable. Jusqu’à en être scandaleux ?
Petit retour historique
Le snus est fabriqué et commercialisé en Suède depuis les années 1820. Il a été le produit de consommation de tabac le plus vendu en Suède jusqu’au début des années 1940, lorsque la cigarette est devenue le moyen privilégié de consommer du tabac. Le snus et la chique étaient alors des pratiques strictement masculines quelque peu inélégantes en raison de l’utilisation de crachoirs qu’on pouvait trouver dans les banques, dans les trains ou dans les hôtels. Cependant, avec l’arrivée la cigarette, la consommation de snus est devenue has been, propre aux hommes des campagnes et des anciens.
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Comment ça marche ?
Le snus se présente sous forme de coussinet. Collé sur la gencive, la nicotine du snus est absorbée par la muqueuse de la cavité buccale. Le jus produit lors de ce processus est généralement avalé. Le snus préemballé est disponible en 4 « forces » différentes, les portions pèsent entre 0,5 g et 1,7 g. On le trouve en vente libre, dans les boutiques spécialisées et les grandes surfaces, les 7/11 et on le trouve aussi en distributeurs automatiques. Il est souvent conservé au réfrigérateur pour minimiser la fermentation et la croissance bactérienne.
Le snus est fait à partir de tabac, mélangé avec de l’eau, du sel, du carbonate de sodium et des arômes. Les produits diffèrent par leur emballage, leur alcalinité, leurs additifs et leurs arômes. Le plus grand fabricant, Swedish Match, répertorie plus de 240 ingrédients utilisés comme arômes dans le snus, notamment des extraits de plantes, des épices ou encore… de l’alcool (goût whisky, ça vous dit ?) !
Le snus, condition sine qua non de l’adhésion de la Suède à l’UE
Lors de son entrée dans l’union européenne en 1995, la Suède a bénéficié d’exemptions permanentes telles que le droit de fabriquer et de vendre le snus sur le marché suédois. Cette dérogation, condition sine qua non à son adhésion, a été obtenue au nom de la culture et de la tradition purement suédoises… Ce qui semble un peu fort de café, puisque le snus n’est pas commercialisé dans le reste de l’Union européenne où il est tout simplement interdit depuis 1992.
Mais bon… Quand on sait que a Suède est de loin le plus grand marché unique, représentant près de 70 % du marché mondial en 2019 et environ 80 % du marché européen, on comprend mieux pourquoi le snus n’était pas une option !
Un marché… juteux ?
Le marché mondial du snus a régulièrement augmenté d’environ 40 % entre 2008 et 2019. La production de snus en Suède dépasse les 300 millions de boîtes par an. Lorsque le gouvernement suédois a imposé une réglementation stricte sur la consommation de cigarettes dans les lieux publics en juin 2005, les ventes de snus ont fortement augmenté. L’entreprise Swedish Match, acteur majeur du secteur avec une vingtaine de marques, a vendu 277 millions de boîtes en Scandinavie en 2021. Un consommateur suédois moyen en utilise environ 800 grammes par personne et par an. General (produit par Swedish Match) est la marque de snus la plus vendue en Suède. Swedish Match est le producteur dominant, avec environ 85 % du marché en Suède et 70 % du marché en Norvège.
Tous les fabricants de snus suédois pasteurisent leurs produits et la plupart adhèrent à la norme GothiaTek. En conséquence, les produits à base de snus fabriqués en Suède selon cette norme présentent des niveaux de substances toxiques inférieurs à ceux de la plupart des produits trouvés dans d’autres pays. De là à penser que les producteurs veulent se donner bonne conscience…
A l’origine d’un scandale européen, le producteur Swedish Match
En octobre 2012, John Dalli, alors commissaire chargé de la Santé et de la Protection des consommateurs à la commission européenne et, à ce titre, des questions relatives au tabac, est épinglé par l’Office européen de lutte antifraude (Olaf), pour trafic d’influence. La plainte émane du producteur suédois de tabac, Swedish Match, qui dit avoir des éléments prouvant que John Dalli lui aurait demandé de l’argent afin de lui permettre de développer la commercialisation du snus en Europe. John Dalli a été forcé à démissionner.
Or, l’enquête semble avoir été menée à charge, selon une contre-enquête menée par le député européen bien connu des Français, José Bové. En mars 2013, celui-ci arrive à se procurer l’enregistrement de deux lobbyistes de Swedish Match qui reconnaissent que l’Olaf les a poussés à maintenir, au cours de l’enquête, une version erronée des faits. l’Olaf a donc manipulé l’enquête contre l’ex-commissaire John Dalli, au profit de l’industrie du tabac. Celle-ci aurait profité de la démission du commissaire qui travaillait au durcissement de la législation antitabac au niveau européen, et réussi à freiner la politique européenne antitabac. L’affaire est relatée dans le très bon film Une affaire de principe, film réalisé par Antoine Raimbault.
En 2022, Philip Morris a acquis Swedish Match, s’octroyant ainsi l’accès aux plus grands marchés du snus, en Europe et aux États-Unis. Le géant du tabac américain cherche à faire passer la vente de produits sans fumée à plus de la moitié de son chiffre d’affaires d’ici 2025. Ce rachat fait partie de sa stratégie visant à réduire la part de ses activités dans la cigarette, pour proposer des alternatives moins nocives. De son côté Swedish Match, en s’alliant avec Philip Morris, espère élargir la distribution de ses produits. Le rachat représente un montant de 176,4 milliards de couronnes, soit environ 16 milliards de dollars.
Le snus blanc pour contourner la loi
En Suède, les lois contre le marketing des produits tabagiques ont été vraiment efficaces jusqu’en 2016, lorsque l’industrie suédoise du tabac a lancé une innovation révolutionnaire, le snus blanc. Ce nouveau dérivé dont la production industrielle remonte à une quinzaine d’années profite d’un vide juridique dans l’UE car il ne contient pas de tabac mais des fibres de cellulose qui sont enrobées de nicotine. L’industrie peut donc éviter non seulement les lois antitabac, mais aussi les règles relatives à la taxation du tabac, puisqu’il est commercialisé comme un produit sans tabac. Le snus blanc n’est interdit en Europe que par la Belgique et les Pays-Bas depuis 2023.
Ce produit se glisse, comme le snus, entre la lèvre et la gencive. Il délivre progressivement de la nicotine par voie transmuqueuse. Censé représenter un substitut au tabac, chaque sachet peut contenir une très forte dose de nicotine. Les plus dosés sont à 21 mg de nicotine, soit l’équivalent… d’un paquet de cigarettes, quand même !
Les portées sanitaires
Si la consommation quotidienne de snus est de 15% en Suède, un chiffre en légère augmentation ces dernières années, le pays connaît dans le même temps une baisse significative du nombre de fumeurs. Selon les statistiques de 2022 de l’Autorité de santé publique, il n’y a plus que 5% de fumeurs réguliers. Consommé par un habitant sur sept, le snus a contribué, selon le gouvernement suédois, à réduire le nombre de fumeurs de 15% à 5% en moins de 20 ans. Un record en Europe ! l’UE se fixe ce même objectif à l’horizon 2050… C’est dire qu’il y a encore du boulot dans le reste de l’Europe.
Parmi les 2 000 substances chimiques contenues dans le tabac sans fumée, 28 ont été identifiées comme cancérigènes. Mais attention ! Les études scientifiques manquent pour l’instant pour mesurer les effets sur la santé des consommateurs de snus. Ce que l’on sait déjà, c’est que le snus et les autres produits qui contiennent de la nicotine changent la pression sanguine et qu’il y a des risques de maladies cardiovasculaires. Enfin, publiée en juin 2023, une enquête menée par l’Institut Norvégien de santé publique indique que chez les consommateurs réguliers de snus, les risques de cancer de l’œsophage et de pancréas sont respectivement trois fois et deux fois plus élevés que chez des individus qui ne consomment pas de nicotine.
Un marketing ciblant les jeunes
Aujourd’hui, les consommateurs de snus ont désormais principalement moins de 50 ans. Le packaging des boîtes et les goûts ciblent indéniablement les jeunes. Ces sachets sont vendus à des prix accessibles et sont discrets parce qu’une fois dans la bouche, ils ne se voient pas. Contrairement à la cigarette, il ne laisse pas d’odeur et ne donne pas lieu à des interdictions de lieu. Derrière des goûts enfantins tels que barbe à papa, cola ou myrtille, ce produit connaît donc un succès record chez les plus jeunes. Au moment du lancement du produit, des sachets de nicotine étaient même distribués dans les cours de récréation ! L’industrie sponsorisait des événements et des festivals de musique, et les influenceurs inondaient les réseaux sociaux avec leurs activités de marketing ciblées.
Aujourd’hui, il est interdit en Suède de vendre du snus aux personnes de moins de 18 ans, mais il n’est pas interdit aux personnes de moins de 18 ans d’en consommer (Quelqu’un comprend la logique ?). Et à l’école, le snus se multiplie de plus en plus chez les filles comme chez les garçons. En 2015, 1 % des filles et 9 % des garçons de 9e année (âge moyen des élèves : 14-15 ans) avaient consommé du snus. en 2023, on parle de 13 % de filles et 15 % de garçons. Des ados en roue libre, car pour l’instant, seule la cigarette est interdite au sein des établissements scolaires suédois, il n’y a aucune loi promulguée contre l’usage du snus.
Les dangers du snus
Comparé à une cigarette, le snus utilise un mode d’absorption différent. La première passe par les poumons, le second par l’estomac. Alors que la fumée de cigarette atteint très rapidement la circulation sanguine au niveau des alvéoles pulmonaires, le snus se retrouve dans le sang au terme d’un processus plus long mais y demeure aussi plus durablement.
La nicotine agit sur le cerveau, le système digestif et le système cardiovasculaire. Activant le système cardiovasculaire et le système digestif, la consommation de nicotine à long terme peut entraîner des troubles digestifs, cardiaques ou une mauvaise circulation du sang, mais aussi en tant que substance psychoactive modifiant l’état de conscience, peut augmenter la sensation de stress. Les sportifs de haut niveau en consomment car le snus permettrait, en faisant passer la nicotine dans le sang, d’augmenter les réflexes, la vigilance ou même l’acuité intellectuelle lors de l’effort.
Son utilisation répétée peut aussi donner lieu à des problèmes dentaires. Ces petits sachets sont très abrasifs et vont progressivement élimer la couche supérieure de la gencive et l’abîmer. La gencive peut se rétracter, s’infecter, donner lieu à des abcès dentaires, voire à une perte de dents.
Les centres antipoison reçoivent de plus en plus d’appels d’adolescents pour des syndromes nicotiniques sévères liés à la consommation de snus. Et cela s’explique facilement par le fait que les portions mettant plus de temps que la cigarette à faire effet, il est facile de penser qu’il faut en reprendre ou passer à un sachet plus fortement dosé. Mais une fois que l’effet se fait sentir, il y a directement surdosage. Résultat immédiat, les signes physiques sont nombreux : vomissements, tachycardie, hypotension voire troubles de la conscience. En France, d’après les médecins, on n’a plus rencontré ce type d’intoxication depuis la fin du XIXe siècle.
De plus, la nicotine est une substance rapidement addictive. Très vite, les jeunes ne peuvent plus s’en passer et passent alors à des produits fumés. Le snus peut donc devenir une porte d’entrée banalisée vers le tabagisme.
Un exemple… à ne pas suivre ?
L’industrie du tabac utilise souvent l’expérience suédoise pour justifier son argumentaire sur la réduction des risques : la Suède connaît de faibles taux de tabagisme et de maladies liées au tabac parce que le snus est disponible dans le pays. Mais ces chiffres sont peut-être davantage le résultat d’une réglementation efficace de lutte contre le tabac, plutôt que d’être imputables à une plus grande disponibilité du snus…
Le snus n’a pas fini de faire parler de lui. Si il constitue une bonne alternative à la cigarette, ce n’est pas non plus une substance inoffensive. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à se fier aux débats qu’il génère. En France, les pouches seront probablement prochainement interdits, selon l’annonce du 30 octobre 2024 de la ministre de la Santé Geneviève Darrieussecq. En Suède, en revanche, signe du soutien au produit, l’Etat suédois vient d’augmenter les taxes sur les cigarettes de 9% et de baisser celles sur le snus traditionnel de 20%… Il faut à présent attendre des études fiables sur les effets d’une consommation à long terme pour savoir si les avantages du snus sont supérieurs aux risques liées à la consommation de nicotine, même sans tabac ni combustion, reste un puissant psychotrope.
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Sans oublié les gencives nécrosées 😵💫